Si lesclavage, en Tunisie, a été aboli depuis 1846, de mauvaises traces traînent toujours dans la société tunisienne. Sélectionné à la Berlinale 2010, «Prestige» est un court métrage tunisien traitant du racisme sous nos cieux.
Wssif. Ainsi désigne-t-on lhomme noir en Tunisie. En arabe, le terme «wassif» signifie, selon le contexte, «serviteur», ou second La primauté étant réservée aux Blancs plutôt basanés en loccurrence. Le Tunisien est-il raciste ? Une question soulevée subtilement par «Prestige», un court métrage de Walid Tayaa, projeté en première à El Teatro, samedi 05 décembre 2009 à 19h30.
«En tant que cinéaste, la première urgence qui me motive est celle du témoignage, celle de la dénonciation d’une réalité: l’attitude des habitants d’Afrique du nord envers les Noirs» déclare Walid Tayaa, auteur et réalisateur de «Prestige». Cette comédie hilarante raconte lhistoire de Salwa, une jeune étudiante tunisienne, amoureuse d’Ahmadou, un jeune Burkinabé, étudiant à la même université. Le hic ? Ses parents lui ont prévu un autre époux : son cousin qui a fait sa fortune en vendant des soutiens-gorge.
Bienvenue au footballeur noir
Salwa est donc confrontée au racisme de ses parents qui rejettent Ahmadou. Pour faire pencher la balance en sa faveur, elle décide de le présenter comme un footballeur plein d’avenir. Constatant le logo de Bayern Munich sur le t-shirt de son frère, elle affirme même que lélu de son cur sera prochainement recruté par le Bayern de Munich. Le père de Salwa est un fanatique de ce sport, et son frère désire ardemment émigrer en Allemagne. Le père simagine déjà président dun club de foot financé par son futur gendre. Quant au frère, ses rêves lemportent aussitôt en Allemagne où il trouvera la fortune, sera vêtu dhabits branchés et se gavera de bière germanique. La mère, elle, gardienne du temple des idées reçues, reste farouchement hostile à ce projet.
Cette comédie, dune durée de 22 minutes, esquisse une caricature dune famille type de la classe moyenne tunisienne. «L’histoire que j’ai écrite n’est pas une simple fiction…C’est une triste réalité qui s’illustre par l’exemple de mes propres parents : il leur parait totalement inconcevable qu’un blanc épouse une noire» mentionne lauteur et réalisateur de «Prestige». Opportunisme, obsession du football et racisme sont autant de caractéristiques de notre société, décelées par la caméra et la plume de Walid Tayaa. Et quand on sait que le réalisateur a suivi des études universitaires en sociologie.
Remède de lhumour noir
Une
pertinence que lartiste tire peut-être de sa connaissance des sciences sociales
quil a étudiées à luniversité, avant de virer au cinéma. Après un premier
court métrage Bahja sélectionné au Festival de Cannes en 2006, Walid Tayaa part à la Berlinale 2010. «Encourager les Africains à s’engager, par le biais du cinéma, à lutter pour relever les défis auxquels est confronté le continent» est lobjectif de la fondation «Art in Africa» et du Goethe-Institut. Avec «Prestige», ce jeune cinéaste tunisien a réussi la gageure de faire rire le public, en dénonçant clairement le racisme.
«C’est une réalité très choquante, mais hélas, c’est la vérité…Cette croyance malfaisante est totalement ancrée dans la mentalité des gens !» insiste Walid Tayaa. Avec son traitement décapant le cinéaste remue le couteau dans la plaie.
Quand un Tunisien évoque lAfrique, cest pour parler des régions sub-sahariennes. Comme si notre pays nappartenait pas tout à fait à ce continent. Cest oublier que cest la Tunisie, anciennement appelée Africa, qui a donné son nom au continent. Lesclavage a pourtant été aboli,
chez nous, dès 1846, par Ahmed Bacha Bey. Mais les séquelles empoisonnées persistent dans la mémoire, le vocabulaire, et le comportement des Tunisiens. Le remède est peut-être à trouver dans lhumour noir.
Thameur Mekki
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