Dépouillés de leur humanité, ils sont des êtres de lau-delà. Clin dil à «Avatar», par-ci, electro industriel par là, lanarchie grisâtre finit par vaincre la passion flamboyante. Sur cette scène, le non-sens libère les esprits enchainés.
Des sons electro résonnent dans la salle. Très énergétique, le mouvement répétitif de trois corps en accélération fixe continue sans trêve. «Les Au-delà tiens» ou «Ennes Lokhra», nouvelle création de Taoufik Jebali, a été présenté en première
à El Teatro, jeudi 22 avril 2010, à 19h30, sur une scène sombre.
Barres métalliques en main, trois comédiens en salopettes douvriers se faufilent, sous des plateformes, entre des barrages de fer. La poursuite de louvrier insoumis commence. Coincé par ses deux collègues ennemis, il doit clamer lultime réplique : «Je taime». La soumission ne tarde pas à semparer de lui. Il est insulté, traité de tous les noms, lynché par des paroles torturantes. Même après avoir craché le morceau, lasservissement mental exercé par les deux autres ouvriers continue sans cesse. «Je taime» crie-t-il plusieurs fois, sans être épargné par les barrages qui lenserrent dans un espace carré. Il est étranglé sans même avoir été touché. Dans cette atmosphère obscure, la musique industrielle, véritable agression sonore, nous emporte dans lunivers de la dernière création dEl Teatro. Dévoré par cette offensive auditive, lespace scénique prend la couleur dun miroir reflétant les aspects les plus sinistres du monde contemporain.
La voix grave du pouvoir obscur finit par mettre un terme à ce déluge dinjures. Elle intervient pour remettre les choses en place et rappeler quil ny a quun seul pouvoir, un seul tyran. Les deux autres ouvriers oppresseurs ne sont que les instruments de cette autorité, de simples objets. La voix off, interprétée par Taoufik Jebali, leur ordonne darrêter de jouer aux fauteurs de troubles. «Enlevez toutes ces photos, nen laissez quune la photo habituelle» clame le pouvoir aussi absolu quobscur. Aucune esthétique nest admise sauf si elle est au service de lintérêt de Big Brother.
Tonifiant, le jeu dacteur de cette pièce a été assuré par les élèves dEl Teatro Studio. Pour «Les Au-delà tiens», Taoufik Jebali, auteur et metteur en scène de cette uvre, sest entourée de Hatem Karoui, Yousr Galai, Afef Garchi, Dhouha Chaouch, Selma Ben Youssef, Mehdi El Kamel, Rita Laabidi
et Issam Ayari. Même Majdi Smiri alias Maguy a mis son grain de sel dans la conception de ce spectacle.
La passion débordante de quelques personnages vêtus en rouge ne tarde pas à se dissoudre dans la brume de lanarchie grisâtre. Lunivers visuel de la pièce interpelle avec une approche particulière de lesthétique claire-obscure.
A un moment donné, la voix off nous parle dune planète, dun pays, dune ville où tout a perdu son sens. Des extraits sonores nous parlent de Navis, de Pandora, de gisement et de ressources énergétique.
Une référence au film de James Cameron «Avatar» fait découvrir aux spectateurs une connexion avec lunivers des «Au-delà tiens». Et le chaos est semé, de nouveau, par les victimes de lesclavage mental, uvre du pouvoir obscur dressé en ombre chinoise. Ce sont «Les Au-delà tiens» ! Ils ont été dépouillés de tout ce qui faisait leur qualité dHomme. A commencer par leurs droits et jusquà leur sensibilité.
Consommation, sexe et violence rythment leur quotidien. Dans leur tribunal, laccusée nest pas arrivée à lheure à cause dun embouteillage. Elle finit par recharger un dinar «light» pour tenir le juge informé. Le greffier est lopportuniste par excellence. Sa boite darchive laisse entendre de la monnaie clinquer. Les dames présentes se mettent à se déhancher avec concupiscence. Cette caricature prend des allures de bande dessinée.
Au pays des «Au-delà tiens», des êtres mineurs au comportement irrationnel font la loi. Dans leur espace, nimporte quelle pensée est victime dagression rendue légitime par le génie du pouvoir autoritaire. Même si le pouvoir finissait par crever, le culte de la personnalité demeure intact. Mais la vivacité de lhumour, le non-sens à double sens qui émaille les dialogues détendra latmosphère. Une uvre signée, Taoufik Jebali, inconditionnel pessimiste jovial !
Thameur Mekki
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