Tunisie : Neyssatou, en attendant l’album orange

Avec sa voix suave et ses textes contestataires, l’univers de Badiaa mixe la densité de l’arabe classique avec les entrainantes mélodies inspirées du jazz et de la musique roots. Son nouvel album aux étranges sonorités oranges sera dans les bacs londoniens.

«Garder la musique pure, loin des rhétoriques futiles», telle est la devise phare de la chanteuse et musicienne tunisienne Neyssatou, de son vrai nom Badiaa Bouhrizi. «Ça ne sert à rien de faire des performances vocales si la musique ne le nécessite pas» explique-t-elle. «Kama qala Abi», «Ila Selma», «Ena Ayech», «Bledi» et autres morceaux de cette artiste se partagent en masse sur le Net (Facebook et Myspace). Les auditeurs à la recherche d’une alternative musicale s’en délectent.

Basée à Londres, Neyssatou a fait ses premières scènes en Tunisie. Et voilà qu’elle a passé l’été dernier à travailler sur son premier album solo. «J’ai déjà enregistré les instruments en avril 2010. Lors de cette visite, je voulais enregistrer la voix» raconte Neyssatou. Avec sa voix suave et ses textes contestataires, Badiaa développe une fusion sonore assez particulière. Sa musique flotte souvent dans un univers alliant la densité de la langue arabe (classique) et le dialectal aux entrainantes mélodies inspirées du jazz et de la musique roots.

Dans les bacs londoniens

Evoluant au sein du groupe d’afro-jazz «Awalé», Neyssatou s’apprête à voir le premier album de son combo dans les bacs londoniens. Et la chanteuse tunisienne ne perd pas de temps. Badiaa multiplie les expériences. Elle a collaboré récemment avec l’une des figures phares de la scène Dub londonienne, Adrian Sherwood, sur la compilation «Dub No Frontiers». Le disque sera édité sous l’étendard d’ «On u sound Label». «C’est un opus réunissant des filles du monde entier qui chante sur de la musique reggae et dub. Avec 12 morceaux en 12 langues différentes. Il y a des reprises de Bob Marley dont «War» que j’ai chanté en langue arabe» déclare Neyssatou.

Elle s’occupe actuellement des préparatifs de son premier opus en solo. L’artiste nous en parle : «C’est une réflexion sur la différence entre la liberté et la libération». Et elle poursuit : «Il s’agit aussi d’une réflexion sur l’engagement. Pour moi, le premier engagement est pour la beauté, la musique en elle-même. Dans mon premier album, les gens trouveront moins de paroles crues qu’ils ne sont habitués à en trouver».

Vibration made in Tunisia

Côté musique, Neyssatou est à la recherche d’un «son homogène» pour son futur opus. «J’ai voulu que cet album soit orange. J’ai souvent l’habitude de traduire mon feeling musical en couleurs» déclare Badiaa en alternant : «Pour mieux comprendre ce que j’entends dire par «orange», je cite «mawloud 3la ettrab el 7ami», le morceau d’Anouar Brahem extrait de la B.O de «Sabots en Or», le film de Nouri Bouzid. Je veux cette sensation là».

Pour que sa recherche d’un son homogène puisse aboutir, la chanteuse-guitariste s’est entourée de musiciens tunisiens. En back line, on trouve le violoniste Wissam Ziadi, le bassiste Slim Abida et les percussionnistes Taha Nouri, Amine Nouri et Malek Ben Hlima alias Paco. On relèvera au passage que la majorité de ces musiciens étaient membres de la formation underground tunisienne ««Gul Trah Sound System»».

«La vibration que je trouve chez les musiciens et même les techniciens en Tunisie n’est pas la même qu’en France ou à Londres. C’est une vibration habituelle, familière. On est sur la même longueur d’onde. D’ailleurs, excepté «Fil Madinati Al Harima», tous les morceaux ont été créés en Tunisie» déclare Neyssatou. L’artiste a déjà préparé 7 morceaux avec cette formation. Les trois ou cinq autres morceaux de l’album seront plus intimes. La voix de Neyssatou ne sera accompagnée que par les mélodies de sa guitare.

La musique Roots by Neyssatou

Mis à part les textes de «Fil Madinati Al Harima» et «Ila Selma» extraits de l’œuvre de la poétesse palestinienne contemporaine Fadwa Touqan, la majorité des lyrics de l’album sont écrits par Neyssatou. «Il y a aussi un texte de Noureddine El Ouerghi inspiré de «Er3i 3al 7ifa», morceau issu du patrimoine de la région du Kef. Notre version s’intitule «Nadi 3al 7ifa».

Björk, Oumou Sangaré, Oum Kalthoum, Kamilya Jubran, Saliha et autres artistes féminines inspirent Neyssatou. «Les voix féminines titillent un côté très intime au fond de moi-même» avoue-t-elle. Et l’artiste poursuit : «Il y a beaucoup d’inspirations… du reggae, du rock, de la musique tunisienne et africaine en générale». Et elle ajoute : «Je ne suis plus aussi rock qu’avant. Depuis que j’ai découvert la musique africaine, j’ai trouvé une certaine mélodicité que je cherchais dans le rock, le pop rock et le metal. Mais dans la musique africaine, j’ai trouvé la mélodicité qui me ressemble le plus». Une explication s’impose…

Flash back ! Avant d’être aussi «roots», Neyssatou a fait ses débuts en 1998, à Tunis, en intégrant le groupe de rock «Black Angels». Ce combo se consacrait à l’époque aux reprises de groupes phares de la scène rock et metal internationale à l’instar de Deep Purple, Led Zeppelin, Megadeth et Pink Floyd. C’est ensuite avec le groupe «Dolls» qu’elle a évolué.

«On jouait nos propres compos. C’était du rock mais teinté d’airs funky» se souvient-elle. Et l’artiste a intensifié la fusion par la suite avec «Dayrib», un groupe d’ethno-rock tunisien.

«L’expérience qui a changé ma vie est «Khepra», groupe d’impro sans limites. On essayait, jusqu’où on peut se mettre à nu devant les gens. C’était une expérience magnifique».

Anouar Brahem, Dhafer Youssef, Mounir Troudi ou encore les jeunes frères Mraihi ont tous trouvé le chemin du succès international. Neyssatou est l’une de ces jeunes artistes tunisiens évoluant entre deux rives, en passe de réaliser son premier projet. Les pages du Web tunisien l’ont accueilli à bras ouverts. Les bacs européens lui réserveront-ils le même accueil?

Thameur Mekki

Print Friendly, PDF & Email

Plus :  Actu



  • Envoyer