Tunisie : Rançon du succès pour Rap castré

Ceux qui croyaient que le Rap tunisien allait reprendre le flambeau de la musique contestataire en seront pour leur frais. Le Rap à l’origine contestataire et virulent, semble s’être accoutumé au consensus mou à la tunisienne. Notre Rap aurait-il subi la castration comme rançon du succès ?

Après avoir galéré de longues années, voici que les rappeurs de Tunisie commencent à investir le paysage audiovisuel local. Les sonorités syncopées ont ainsi été introduites à haute dose dans les feuilletons de Ramadan. Les clashs et autres escarmouches verbales plus ou moins spectaculaires sont relayés par la bande FM. Et radio Mosaïque y met de son grain de sel pour enflammer une polémique à la base circonscrite au milieu des rappeurs. Autant de tempêtes déclenchées dans des verres d’eau, histoire de faire déborder le vase de l’audimat. Et la sauce prend, même si elle est réchauffée. On ne compte plus les pages facebook animées par de jeunes Tunisiens et consacrées à cette musique. Et quand on connait l’importance qu’a le réseau social dans notre pays…

Des comédiens comme Lotfi Abdelli veulent raviver leur passé Hip Hop. Et hop que je me rappelle et que j’ouvre la vanne des souvenirs passe-partout, puis «glisse, s’immisce, dans l’interstice». Le Rap ça marche. Et hop, voici que Dali Ben Jemaâ, l’acteur presque quadragénaire, puise aussi dans ses petits péchés de jeunesse. Voici qu’il se met de nouveau à sautiller sur les scènes de Tunisie, en profitant de sa notoriété remportée pourtant de haute lutte grâce à des films (et des pièces) du calibre de «Jounoun» et de «Hia ou Houwa» pour ne citer que les plus récents.

Puis voici que l’on fait de nouveau appel au Rap pour vendre des cahiers d’écoliers, juste avant la rentrée. Selecta a même fait appel à Balti, pour faire la promotion de sa papeterie scolaire. Et après tout, l’artiste qui s’est sérieusement assagi avec l’âge, ne fait plus vraiment de vagues… D’ailleurs, il a déjà fait la pub pour une marque de téléphone portable. Ce serait presque un habitué. De là à le citer comme exemple de réussite pour les élèves de l’école primaire, il n’y a qu’un pas, que la pub a allégrement franchi. Et de toute façon, est-ce vraiment une surprise, quand des blogueurs l’affublent du titre de «Rappeur Officiel du Gouvernement tunisien» ? Exit, donc, la subversion, et le lancinant hurlement des bas-fonds.

Ceux qui croyaient que le Rap tunisien allait reprendre le flambeau de la musique contestataire, une torche éteinte en Tunisie quelques années après la première Guerre du Golfe (coïncidence ?) en seront pour leur frais. Adieu paroles au vitriol. La critique sociale perdra de son piquant. On laissera l’agressivité vengeresse, véritable marque de fabrique de ce style de musique au vestiaire. Pour mettre de l’huile. Non pas sur le feu, comme de coutume pour le Hip Hop, mais pour incorporer de la graisse dans les rouages de la mécanique médiatique. Il faut bien que la roue tourne.

Le Rap à l’origine contestataire et virulent, semble s’être accoutumé au consensus mou à la tunisienne. Il est né dans la douleur, dans les années 80 du siècle dernier, dans les ghettos noirs de l’arrogante Amérique. Mais après la vague Gangsta, que les fondamentalistes du Hip Hop estiment morte avec Tupac Shakur, voici la déferlante tunisienne du hip-hop BCBG, avec à peine quelques gestes déplacés (des mains, comme les prestidigitateurs) pour faire encore illusion sur les écrans télé. Le Rap tunisien aurait-il subi la castration comme on paye une rançon pour le succès ?

Lotfi Ben Cheikh

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