Un débat sur le thème «Egypte, Tunisie : révolution et modernité», organisé par l’Institut Français de Coopération de Tunis, s’est tenu dimanche 20 mars à Paris. Un échange d’idées salutaire, pour exploser les clichés sur la Tunisie et sa Révolution. Par notre envoyé spécial à Paris, Thameur Mekki.
«Vous êtes Tunisien. Ah ! J’adore le jasmin» me dit une employée de l’un de ces guichets d’information de l’Aéroport CDG. Ça sent le merguez devant le Parc des expositions à la Porte de Versailles. «Vous êtes Tunisien? Vous êtes de Sousse ou de Hammamet?» me demande un des adhérents d’une association parisienne en train de distribuer des flyers devant le Salon du Livre de Paris. Autant de clichés conservés sur nous Tunisiens par les gens du nord. Et même la Révolution s’est fait coller des étiquettes. Les intervenants au débat «Egypte, Tunisie : révolution et modernité», tenu dimanche 20 mars en ont brisé certains. Cette table ronde a été organisée par l’Institut Français de Coopération de Tunis à l’espace «Nota Bene» consacré aux conférences du Salon du Livre de Paris.
La Révolution Tunisienne en vrai !
«Dire que la Révolution Tunisienne est moderne parce que le Net a joué un rôle là-dedans, ce n’est pas vrai. Les coups de matraques n’étaient pas virtuels. Les lacrymos n’étaient pas virtuels» dixit Youssef Ben Ismail, étudiant tunisien en sciences politiques à Paris. «Internet a juste servi d’outil pour la Révolution. Facebook a juste été un espace qui a facilité les rencontres, le débat, et contribué à l’effervescence de la Révolution» martèle le jeune initiateur du nouveau site de réflexion El Mouwaten et un des protagonistes du Mouvement Byrsa. Il était l’un des cinq intervenants dans ce débat. Il y avait aussi l’historien tunisien Ali Mahjoubi, Boujemaa Remili, auteur de «Quand le peuple réussit, là où toute la société a échoué» et membre du Parti Ettajdid. Abdelaziz Belkhodja, auteur de l’ouvrage «Hannibal Barca, l’histoire véritable» sorti par sa propre maison d’édition Apollonia et fondateur du Parti Républicain était également présent sur l’estrade.
Les germes de la révolte
L’intervention de M. Ali Mahjoubi s’est d’abord focalisée sur le contexte social dans lequel a germé la révolte populaire. Il a mis en exergue la situation des habitants des régions déshéritées du centre du pays (Sidi Bouzid en l’occurrence). Il a focalisé sur le manque d’infrastructure et l’absence d’opportunités d’emploi, sur le taux de chômage élevé d’une jeunesse majoritairement diplômée. De son côté, Youssef Ben Ismail a exposé sa vision de la traversée vers la modernité. Pour lui, il s’agit de deux étapes : «Il y a celle de la prise de conscience de l’échec de la dictature du pouvoir et de son rejet. Ça s’est fait pour les deux pays. Et il y a celle de savoir ce que l’on veut. C’est là que réside la différence entre l’expérience tunisienne et égyptienne. La Tunisie a décidé de faire table rase et tout redéfinir et tout restructurer. Quant à l’Egypte, elle a décidé de travailler sur la même constitution» relève le jeune étudiant.
La modernité, un produit importé?
«1846, abolition de l’esclavage. 1861, première constitution du monde arabe. Le destour tunisien a précédé la constitution française». C’est ainsi qu’Ali Mahjoubi est revenu sur les différentes étapes historiques de la Tunisie, un pays précurseur en matière de modernité. Reflexe d’historien oblige. Un retour sur les réflexions, convictions et le projet sociopolitique de Kheireddine Pacha s’impose. Il explique : «Ce contemporain de Karl Marx a toujours eu la conviction que «la superstructure influence l’infrastructure. C’est tout à fait l’inverse de la vision de Marx». La vision de Bourguiba a également été évoquée. Le statut de la femme, la modernisation de l’éducation, de la santé et de la société étaient les axes principaux de la modernité bourguibienne. L’historien analyse : «Mais ce n’était pas le cas en politique (…). Si la dictature de Bourguiba était conjoncturelle. Celle de Ben Ali était structurelle».
Modernité instrumentalisée
Youssef Ben Ismail rapplique avec ardeur : «La modernité a été instrumentalisée durant 23 ans. Ce n’était qu’un alibi. Et je rejette cette modernité. Il faut aujourd’hui se rendre compte que la démocratie ne veut pas dire consensus. Il ne s’agit pas d’un bloc. Il faut qu’on passe de cette démocratie du consensus à la démocratie de la majorité. Aujourd’hui, on perçoit encore la modernité et la démocratie avec les outils d’hier. Il faut rompre avec ça». Quant à Boujemaa Remili, il a mis l’accent sur les indicateurs de la modernité dont témoigne la Révolution. «La société s’est modernisée face à un régime archaïque. Les jeunes ont demandé une rupture. Et ils l’ont obtenue. Mais aujourd’hui, la révolution est sans direction, sans leader» analyse l’auteur de «Quand le peuple réussit, là où toute la société a échoué».
Monter une alliance démocratique, c’est la solution proposée par Boujemaa Remili et Ali Mahjoubi et cautionnée par les autres intervenants de cette table ronde pour atteindre la modernité à laquelle aspire la société tunisienne. M. Mahjoubi explique : «Nous assistons actuellement à l’aube d’une confrontation entre forces politiques démocratiques et d’autres plus rétrogrades. L’avenir est vraiment flou. La seule solution est une alliance démocratique réunie autour de l’UGTT. L’organisation syndicale servira ainsi de parapluie populaire pour cette alliance». Ce parapluie sera-t-il ouvert? On verra ce que l’avenir et les urnes nous réserveront lors des élections de l’Assemblée Constituante, le 24 juillet prochain.
Thameur Mekki
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