Tous les Tunisiens pourront être propriétaires de ce portrait de l’icône de la Révolution, Mohamed Bouazizi. Une œuvre de Selim Tlili, divisée en 999999 parts pixels, en vente sur le web. Tout l’argent récolté partira pour les zones défavorisées, et pour aider les plus démunis. Interview.
Tous les Tunisiens pourront être propriétaires de ce portrait de l’icône de la Révolution, Mohamed Bouazizi. Une œuvre de Selim Tlili, divisée en 999999 parts pixels, en vente sur le web. Tout l’argent récolté partira pour les zones défavorisées, et pour aider les plus démunis. Interview.
En quoi consiste ce projet ART for Tunisia ?
Ce projet nous rappelle celui d’Alex Tew , le one million dollar homepage, qui a été fait en 2005. Vous vous en êtes inspiré ?
Je ne savais pas que ce projet existait.. on m’a parlé du concept du gars, qui a eu une idée dingue, de vendre des pixels, pour financer ses études. Bah ! figurez-vous, qu’on a presque eu la même idée. Le Tunisien est capable d’avoir aussi une bonne idée.
Un dinar le pixel ?
C’est du bénévolat. Je ne vais bénéficier d’aucune somme d’argent, personnellement. Tout l’argent récolté partira pour les zones défavorisées, et pour aider les plus démunis.
On peut acheter le pixel uniquement via le web?
On peut se procurer sa part pixel sur www.artfortunisia.com, (opérationnel à partir du 09 avril, jour de la fête de la commémoration des martyres) au moyen d’une carte e dinar, ou sa carte bancaire , mais il y a, également, à la disposition des tous les Tunisiens, un numéro vert, pour leur expliquer comment participer à cette action pour la Tunisie . On peut acheter autant de parts qu’on le souhaite. On est libre de garder l’anonymat ou au contraire de mettre son nom sur sa part. Au fur et à mesure que la vente avancera, le tableau va se révéler sur le site, comme une mosaïque. Nous espérons toucher les Tunisiens à l’étranger, ainsi que les étrangers, solidaires avec la Tunisie. Tout sera fait, dans la transparence la plus totale. D’ailleurs, pour celui ou celle qui le désire, des informations sur l’état des ventes, seront présents sur le site.
Selim Tlili, comment t’est venue cette idée de faire un portrait de l’icône Mohamed Tarak Bouazizi ?
Disons, que c’est une idée qui vient du cœur, avant toute chose. Vous savez qu’il y a eu trois jours de deuil, improvisés, en hommage à nos martyrs de janvier et puis de décembre aussi. Le 22 janvier, le peuple et de nombreux artistes, ont commencé à s’exprimer, dès le matin, à l’avenue Habib Bourguiba, pour rendre hommage aux martyrs. Leur icône, est claire pour tout le monde, c’est Mohamed Tarak Bouazizi, qui a fait prendre conscience au monde du Ras le Bol. A ce moment là, je me suis interrogé sur mon apport en tant qu’artiste, qu’est-ce que je pouvais me permettre de faire. Je n’ai pas les moyens, je ne peux rien faire de concret, d’un point de vue pécuniaire, ou à travers mes activités, alors je me suis dit voilà ce que tu vas faire, tu vas ramener une toile sur Tunis, il n’y avait aucune préméditation, je tiens à le préciser, et en tant que speed painter, j’ai eu envie de faire participer le plus de monde possible.
Le principe c’est d’être tous solidaires pour une action ou pour une activité qui va nous mener vers quelque chose. Alors j’ai crayonné Mohamed Tarak Bouazizi, sur un tableau blanc, et j’ai balisé, j’ai mis des frontières de couleurs avec des numéros de couleurs qui correspondaient aux mélanges que j’avais fait sur place : un, pour le gris clair, deux, pour le gris foncé, puis le noir etc… et puis, tout le monde a participé, spontanément. Ils ne savaient pas forcément ce qui ils allaient peindre au départ, on sentait se développer une énergie du cœur, c’était mon souhait d’ailleurs. Il y avait des néophytes, des gens qui n’avaient jamais tenu de pinceau dans leur main. Ils ont foncé, tête baissée. Ils m’ont demandé, qui se cachait derrière ce portrait. Je ne voulais pas leur révéler l’identité de celui qu’on peignait ensemble, toutes catégories sociales confondues, des enfants aux grands-parents. Après deux heures et demie, on a terminé vers 19H40, juste le temps de plier bagage et de remonter le tableau vers la Marsa, avant le début du couvre-feu. Voilà ce que ça a donné à l’avenue Habib. Bourguiba, tout s’est fait naturellement. Sans autorisation. Les seules balises qui étaient présentes, se trouvaient sur le tableau. L’art est revenu dans la rue, il y avait ce regroupement extraordinaires, cette anarchie dans la rue, chacun s’exprimait comme il le voulait. Le résultat, une grande cohérence dans le tableau.
En tant qu’artiste, avez-vous senti cette liberté d’un coup après le 14 janvier ?
Avant le 14 janvier, je me permettais de faire des choses, mais qui étaient incomprises. J’essayais de montrer qu’il y avait une dictature terrible à travers des toiles, qui, d’ailleurs, prenaient la dimension de cette peur. Elles étaient petites, alors que j’aime bien travailler sur des toiles de grand format, en général. Je faisais des caricatures de Ben Ali que je brulais. A la censure s’ajoutait l’autocensure. Nous nous trouvions dans un système très vicieux et versatile, du fait que nous nous auto- contrôlions, que nous chuchotions aussi.. Alors Tarak Bouazizi nous a ouvert les yeux, immolé par le feu. Le message de son ras-le-bol, c’est quand même quelque chose, c’était horrible. Je pense qu’il avait très bien compris, qu’il n’y avait pas de solution dans ce pays. Il a été très réaliste, et très courageux en fait, en faisant ça. J’imagine, qu’il aurait bien voulu s’en sortir autrement.
Avez-vous montré le portrait à sa famille ?
Nous l’avons montré à sa famille. Nous avons parlé aux sœurs, Samia et Leila, le frère Salem. La mère a vu le tableau sur l’ordinateur. On a tout leur soutien.
Finalement l’art peut être «utile» ?
Le tableau en lui-même m’a dépassé. L’art, ne l’oublions pas, est indispensable. En ce sens, il est utile. Mais pour cette fois-ci, l’art pourra aider financièrement les gens qui en ont besoin. Le tableau est signé Selim Tlili, et dix millions de tunisiens, depuis le 22 janvier, pour ce principe de solidarité, de confiance et de dialogue qu’on doit restaurer entre les Tunisiens de la capitale et ceux de l’intérieur. Nous devons faire un effort commun. J’espère que grâce à la vente de ce tableau, qui va durer 13 jours, à compter du 09 avril, nous allons contrecarrer cette misère omniprésente qui touche les zones défavorisées. Le maitre mot c’est solidarité, solid’ARTité.
Propos recueillis par Haifa Kadhi
Photos :
Lamia Slim – Foued Frini – David Alibet