La moindre vidéo diffusée sur facebook dispose d’un impact dévastateur, a fortiori quand elle met en scène un responsable aussi populaire que Farhat Rajhi. Surtout dans un contexte où la transparence n’est pas toujours de mise. Mais faut-il pour autant prendre la production facebookienne pour argent comptant?
La moindre vidéo diffusée sur facebook dispose d’un impact dévastateur, a fortiori quand elle met en scène un responsable aussi populaire que Farhat Rajhi. Surtout dans un contexte où la transparence n’est pas toujours de mise. Mais faut-il pour autant prendre la production facebookienne pour argent comptant ?
«J’ai été piégé. Je ne savais pas que les journalistes étaient en train de filmer. C’était une discussion à bâtons rompus. (…) J’appelle les jeunes Tunisiens à rester calmes». Ainsi s’est exprimé Farhat Rajhi, via le téléphone, en direct sur Hannibal TV, en cette soirée du jeudi 5 mai 2011. «Il s’agissait de pures suppositions, et non de faits avérés». Il précise avoir été «surpris par l’ampleur disproportionnée qui a été donnée à ses propos». Reculade due à certaines pressions ? Prise de conscience de la gravité des accusations et des révélations ? Peu de gens, en Tunisie, sont en mesure de donner une réponse sans équivoque, en ces temps troublés où des prisons brûlent et des condamnés évadés, s’éparpillent aux quatre coins de la République.
Mais voici que les deux jeunes journalistes, à l’origine du «scoop facebookien» sont pointés du doigt par le responsable vedette. Deux jeunes qui auront pourtant gagné leur quart d’heure de célébrité, puisqu’ils ont été appelés à témoigner, dans la journée de jeudi, par la plupart de nos stations FM. Les Tunisiens se souviendront donc des noms de Najwa Hammami et de Hamdi Ben Salah.
Des pages facebook se sont immédiatement créées, appelant à la protection de l’ex-ministre de l’intérieur. Des groupes radicaux comme Takriz y participent. Une pétition en ligne salue même le «courage admirable de Monsieur Farhat Rajhi qui a eu l’audace de nous révéler ces informations précieuses». Des manifestations ont rassemblés illico des jeunes en colère dans plusieurs villes de Tunisie. La nouvelle s’est répandue comme un feu de brousse, et l’incendie menaçait de prendre tout le monde par surprise. Mais voici que le premier responsable de la déflagration lui-même, déclare vouloir remettre les choses à leur place.
Le problème, c’est qu’apparemment Facebook peut aussi avoir des effets dévastateurs. Surtout dans la mesure où les Tunisiens en général, et les internautes en particulier ne semblent pas encore accorder leur confiance aux médias officiels. Surtout dans un contexte où la transparence n’est pas toujours de mise dans les affaires gouvernementales. Mais alors qu’ils auraient presque tendance à réfuter en bloc ce qui filtre de la presse imprimée et des médias de masse classiques, la moindre vidéo diffusée sur facebook dispose d’une force d’impact importante, et d’une certaine crédibilité. A fortiori quand elle met en scène un haut responsable aussi populaire que le sémillant Farhat Rajhi.
Après avoir contribué à faire la Révolution, le réseau social numéro un en Tunisie, avec ses quelques 2,5 millions de membres, pourrait-il contribuer à son échec ? Les Tunisiens, habitués à considérer les réseaux sociaux comme le mégaphone des opprimés, le porte-parole des sans-paroles, le catalyseur de la Révolution, seront peut-être amenés à revoir leur relation avec Facebook et ses avatars divers. Parce qu’après avoir vécu près d’un demi-siècle dans le silence, sous une chape de plomb imposée par le pouvoir, voici que la parole libérée a la force non-contrôlée d’un ouragan. Et dans un contexte révolutionnaire, il faut savoir raison garder. Les débordements sont toujours possible. Et la Tunisie, qui n’a pas complètement retrouvé la sécurité, n’a pas vraiment besoin de cela.
Lotfi Ben Cheikh