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Tunisie : Bendir Man, attentat satirique en musique

La police, les militaires, Hayfa Wahbe, Sofia Sadok et autres, personne n’échappe à l’arme de dérision qu’est la musique de Bendir Man, y compris lui-même. Fidèle à son ton satirique, l’artiste dont la créativité a été souvent remise en cause a livré une bonne prestation avec un répertoire complètement réarrangé et quelques surprenantes interprétations vocales. Reportage

 

La police, les militaires, Hayfa Wahbe, Sofia Sadok et autres, personne n’échappe à l’arme de dérision qu’est la musique de Bendir Man, y compris lui-même. Fidèle à son ton satirique, l’artiste dont la créativité a été souvent remise en cause a livré une bonne prestation avec un répertoire complètement réarrangé et quelques surprenantes interprétations vocales. Reportage

«Haya heeey», c’est avec ce cri festif des quartiers populaires de Tunis que le chanteur a entamé «99%», premier morceau de son concert tenu samedi 09 juillet 2011 au Quartier Punique du Musée de Carthage dans le cadre du festival international de la place. Le riff de reggae coule sur la ligne de basse. La mélodicité s’impose avec les airs de violon. Et la batterie renforce le groove amené par la guitare. Les nouveaux arrangements ont fait des hymnes satiriques engagés de Bendir Man des morceaux de musique puisant dans divers registres mélodiques. Propulsé par le web sous le règne de Ben Ali, Bendir Man a souvent été critiqué pour sa musique simpliste. «Quand on est aussi critique envers le système, on ne peut pas trouver de bonnes conditions pour peaufiner son produit avec d’autres musiciens et pour enregistrer. Désormais, la donne a changé» nous confie Bandir Man. Guitare en main, la chanteur-caricature du fervent défenseur de Zaba a été accompagné durant sa performance carthaginoise par Taha Ennouri à la batterie, Radhouane Ben Béchir à la basse et Selim Ben Salah au violon.

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«Elli ba3dou», utile langue de vipère

«Ils disent qu’il parait qu’il faut se mettre à nu comme Hayfa Wabe et autres starlettes de Rotana pour que les gens viennent assister au spectacle à Carthage. Je ne les pas fait et vous êtes venus» lance-t-il au public avant de renchérir avec autodérision : «Je suis celui qui a profité le plus de la Révolution… Après les flics bien-sûr». Et il enchaine avec un nouveau morceau intitulé «Elli ba3dou», inspiré de la cultissime chanson de Brel, «Au Suivant». Entre airs reggae, folk et autres mélodies maghrébines, l’artiste surprend le public avec un «hommage à l’art populaire tunisien» en chantant une version à tendance Dub de l’emblématique «Erdha 3lina ya lemmima», ballade de Salah Farzit, figure historique de la musique mezwed.

Bendir Man continue avec un autre hommage. Mais cette fois-ci, il enfile, de nouveau, sa casquette d’artiste satirique. «Elle est montée sur la scène de Carthage plus qu’elle est montée dans sa voiture. Qu’elle repose en paix. On peut le dire, la paix et la miséricorde sont aussi valable pour les morts que les vivants» ironise-t-il en allusion à Sofia Sadok. Et il enchaine avec «Bel Amn wal Amen», morceau où il parodie l’une des chansons propagandistes de cette chanteuse. Rejoint par le saxophoniste français Didier, la touche de son instrument et le nouvel arrangement a donné au morceau des allures de musique de fanfare nous rappelant légèrement celle du groupe serbe No Smoking Orchestra.

Rafle, Harga et… Système

«Salutations au Général Rachid Ammar et l’Armée Nationale» clame Bendir Man. Le roulement de batterie de Tahar Ennouri gronde faisant référence aux tambours de l’armée en intro au morceau «Rafle», critiquant les campagnes d’arrestations des jeunes non-inscrits au service militaire et les douteuses tâches qui leur étaient confiées durant cette période. L’ancienne musique du vieux programme télé du célèbre conteur Abdelaziz El Aroui alterne. Et Bendir Man alterne avec «Hbiba Ciao», son tube où il parle au nom d’un jeune déterminé à immigrer clandestinement en Italie laissant un message en musique à sa bien-aimée. Atypique adaptation de Bella Ciao, historique chant protestataire des communistes italiens!

L’un des moments forts du concert est celui de l’interprétation de «Système», tube favori de Bendir Man. Il a chanté la vieille version, ode à la soumission et la nouvelle où il délaisse le contre-sens et célèbre la révolution tunisienne.

Bendir Man… une voix aussi !

Le musicien adapte ensuite un ton plus sérieux en interprétant «Nakhlet Oued el Bey», morceau d’Amel Hamrouni écrit par le parolier tunisien Adam Fethi. «C’est un hommage à l’ancienne génération de la chanson engagée, sans eux nous n’aurions pas été là ce soi» lance Bendir Man avant de jouer quelques notes empruntées à «Wish you where here» de Pink Floyd en intro du morceau. Lors de cette partie de sa performance, l’artiste a livré une excellente performance vocale valorisée par l’intensité d’un feeling qui saute aux yeux et aux oreilles.

Fidèle à son ton satirique, il alterne avec «Nhebbek», une chanson d’amour ironisant sur le machisme tunisien. «C’est bientôt l’heure de céder la scène à Baaziz. Ce chanteur (si critique et controversé) va jouer dans quelques instants à Carthage. C’est ce qu’on a fait avec la Révolution : des augmentations de salaire pour les flics, Baaziz à Carthage et on a sorti Essebsi du tiroir» relève Bendir Man, toujours dans l’humour noir. Il a bouclé sa performance avec une excellente prestation vocale avec son morceau dédié à la révolte des bassins miniers et intitulé «Redayef». Il raconte avant de la chanter : «En 2008, certains ne savent pas que quand il y avait des clubbers qui se bourraient la gueule et dansaient dans les boites de nuit de Hammamet, d’autres Tunisiens tombait sous les balles au Redayef. A l’époque, j’ai fait cette chanson».

L’artiste cède la scène à l’artiste algérien Baaziz après une heure de performance. Il revient en fin de la soirée portant le tee-shirt «Free Feriani». «Chehilet Laayani», une version en duo de «Rock Collection» de Laurent Voulzy ou encore le nouveau morceau de Bendir Man, adaptation originale «Mauvaise réputation» de Georges Brassens, autant de morceaux partagés par l’artiste tunisien, le violoniste Selim Ben Salah, Baaziz ainsi que ses musiciens dans un jam clôturant le concert.

Thameur Mekki

Crédit Photos : Bayrem Ben M’rad

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