M. Nasreddine Ben Saïda, directeur du journal Attounissia, actuellement en grève de la faim, est maintenu sous contrôle judiciaire à partir du lundi 20 février, en attendant son procès. Habib Guizani, Rédacteur en chef du quotidien revient sur son arrestation, et affirme que l’affaire Attounissia est une «affaire politique». Interview.
Tekiano : Comment s’est passé votre arrestation?
Habib Guizani : Le scénario de notre arrestation a été bien orchestré. Quand je suis arrivé au siège du journal le matin du 15 février, on m’a informé qu’on avait de la visite. Deux personnes : Un homme et une femme, qui se sont avérés être agent et officier de police judiciaire, attendaient le directeur du journal M. Nassreddine Ben Saida. A son arrivée, il les a reçus dans son bureau, et est venu m’informer qu’ils voulaient se réunir avec nous au sujet de la photo de la Une du journal. On nous a ensuite amenés au siège de la police judiciaire à la Kasbah, où on nous a signalés que nous devions répondre, chacun à part, à un interrogatoire enregistré. A ce stade-là, nous avons commencé à sentir qu’il ya quelque chose qui se tramait. Il commençait à se faire tard et il fallait qu’on rejoigne le siège du journal. L’officier de police judiciaire, nous a informés qu’elle devait s’en remettre au procureur de la République à qui d’ailleurs, elle a téléphoné à maintes reprises. Elle nous a signifié ensuite, qu’il est très important de saisir le numéro dans les kiosques et qu’il fallait retirer le maximum d’exemplaires distribués. Nous avons alors téléphoné à l’un des responsables du journal pour l’inciter à bouger rapidement et en saisir le maximum. Et alors que nous attendions la décision du procureur de la République, on nous informe que nos portables sont confisqués jusqu’à nouvel ordre et que nous étions en état d’arrestation ! On nous a dépouillés de nos affaires : montres, briquets et argent, et on a insisté à ce que le journaliste ayant traité l’article et la photo soit présent avec nous. Après avoir rédigé un procès d’arrestation, on nous a conduits, tous les trois, au centre de détention de Bouchoucha, escortés par des agents de la police, les mains menottées, comme des criminels.
Le lendemain, vers 8h15, on nous a remis nos affaires avant de nous conduire au Palais de Justice, tout en nous signifiant que nous allons passer devant le juge d’instruction pour être jugés selon l’article 121 du code pénal (NDLR : atteinte aux bonnes mœurs et trouble à l’ordre public).Une fois arrivés, on nous a enfermés dans une geôle. On y est resté 9 heures avant qu’on appelle mon confrère, vers 19h, pour rencontrer le juge d’instruction.
Que vous a dit le procureur durant votre détention, et que pensez-vous du fait que le directeur du journal Attounissia, Nassreddine Ben Saïda, soit encore détenu en prison?
J’ai fait remarquer au juge que le fait d’arrêter un journaliste pour une photo est une première en Tunisie depuis l’indépendance, que les avocats qui sont là allaient démontrer que l’affaire de la photo n’est qu’un prétexte, et que l’affaire est une affaire de liberté d’expression et de liberté de la presse. L’un des avocats a fait remarquer que le procureur de la publique tenait à donner une leçon au reste des journalistes, ce qui explique l’acharnement sur le directeur du journal en le détenant en prison.
Pourquoi avez-vous refusé de parler à la presse au moment de votre arrestation?
Nous n’avons pas refusé de parler à la presse parce que notre arrestation a été faite sous silence. Au moment où nous avons étéa arrêtés, personne n’était au courant.
Quel est votre regard sur la polémique autour de l’affaire?
L’affaire est politique. On veut mettre la main sur la presse et lui confisquer sa liberté, surtout que notre journal est réputé pour son intégrité, sa crédibilité et sa neutralité. L’affaire de “Attounissia” a dévoilé le vrai visage du gouvernement actuel qui veut imposer un diktat multidimensionnel sur le peuple tunisien.
Cela remet-il en cause selon vous l’indépendance de la justice?
Bien sûr. L’affaire remet en cause l’indépendance de la justice dans la mesure où il s’est avéré que le procureur de la république ne faisait qu’exécuter les ordres, ce qui le met en confrontation avec les avocats. Seulement, ceux qui ont dicté les ordres ne s’attendaient pas à voir pas moins de 70 avocats se mobiliser, gratuitement, pour défendre une cause très chère à tous: la liberté d’expression !
Propos recueillis par Lilia Blaise
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