Open data, open source, data visualisation, infographie et participation citoyenne, Fhimt.com explore toutes les ressources de la technologie pour proposer une nouvelle forme d’information. Interview avec Khelil Ben Osman, un des membres fondateurs de ce portail.
Tekiano : Comment est né Fhmit.com ?
Khelil Ben Osman : Une fois que Ben Ali était parti, une bande d’amis s’est mobilisée pour prendre part à la reconstruction de la Tunisie. Construire un média sur Internet faisait sens, surtout dans un pays où la révolution a été couverte grâce à une information citoyenne produite par des citoyens sur internet. Il y avait réellement un champ à explorer pour ce genre de nouveau média. Nous nous sommes retrouvés avec d’autres intéressés par le projet pour voir comment utiliser les nouveaux médias afin de proposer une nouvelle façon de s’informer. Au départ, la priorité était de sensibiliser aux élections. Nous avons donc décidé de monter une plateforme sur laquelle les citoyens pourraient écrire et donner leurs points de vue. Ensuite, nous avons réalisé plusieurs datavisualisations pour vulgariser et rendre l’information plus accessible.
Fhimt.com est avant tout une application pour que les citoyens puissent produire de l’information.
Cela nous a donné d’autres idées pour d’autres applications qui favoriseraient la production de l’information citoyenne. Nous avons ensuite créé d’autres applications de ce type au sein de l’Association Tunisienne des Libertés Numériques qui porte le projet Fhimt.com et d’autres.
C’est quoi la datavisualisation et quelle est son utilité dans le secteur de l’information ?
C’est comme son nom l’indique, la représentation des données. Nous partons de données brutes pour en extraire du sens et de l’information. Cela fait appel à plusieurs compétences comme le design, les statistiques, l’ergonomie pour rendre les données accessibles aux lecteurs en plus d’être agréables à voir. En Tunisie, les médias sont au mieux en quête de crédibilité ou carrément traînant une mauvaise réputation, les données et la datavisualisation c’est un peu le gage scientifique d’avoir une information solide à la base. C’est aussi une façon d’expliquer ou étayer une information par l’image, donc plus simplement et de façon plus ludique qu’un article classique.
Quel est le modèle économique d’un média comme Fhimt.com?
Pour l’instant on tourne grâce au bénévolat et mécénat. Pour la datavisualisation, nous avons créé une agence entre la Tunisie et la France – Partikuls – qui finance cette partie du média. L’agence produit les infographies et les publient gratuitement sur Fhimt. Celles-ci sont d’ailleurs utilisées par plusieurs médias tunisiens. Côté journalistique, nous n’avons pas encore la force d’être une rédaction, mais c’est en cours. Nous voudrions aussi élargir nos thématiques tout en gardant notre spécificité à savoir ; la technologie, les nouveaux usages et comment ils impactent la société.
Quel est le rôle du journaliste dans ce nouveau média ?
Avec la datavisualisation, il y a aussi la libération des données, c’était le cas avec Wikileaks : des milliers de données à traiter et maintenant des données produites par les citoyens eux-mêmes.
Pour traiter ces données, nous avons besoin d’applications qui viennent nourrir un nouvel écosystème de l’information. L’article en tant que tel n’est plus l’unique contenu journalistique, il y a maintenant des objets de contenus qu’il faut pouvoir mixer avec des applications pour proposer une nouvelle façon d’informer. Par exemple, l’outil Storify permet de raconter une histoire en s’appuyant sur des tweets, l’outil Dipity permet de construire des frises de temps que vous pouvez réintégrer dans votre article, etc. Il existe de plus en plus d’outils à disposition pour proposer un autre type de contenu qui impliquera plus le lecteur en le rendant actif dans sa quête d’informations. Le digital apporte des changements multiples, une plus grande accessibilité aux disciplines (je peux faire de la vidéo avec mon ordinateur) et une revalorisation des disciplines (même si je ne fais que partager du contenu, je crée de la valeur). Cela favorise l’interdisciplinarité, le développeur informatique, le designer, le journaliste et le lecteur sont tous importants dans la nouvelle chaîne de valeurs de l’information. Le rôle du journaliste reste donc primordial, mais il doit devenir technophile et créatif.
Y-a-t il un risque de retour à la censure selon vous en Tunisie?
J’ai du mal à y croire. Pour la petite anecdote, le jour où le journal Le Point a été interdit de distribution en Tunisie, la version pdf était de suite disponible sur Internet. La censure est aujourd’hui impossible avec les données je ne m’inquiète donc pas pour la liberté d’expression. Maintenant si le filtrage est remis en place au niveau de l’ATI, c’est surtout économiquement que le pays va souffrir, d’abord à cause du coût des solutions techniques de filtrage, ensuite pour la qualité du réseau qui en sera forcément pénalisé et donc la compétitivité de nos entreprises.
Propos recueillis par Lilia Blaise
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