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Tunisie : Les artistes s’expriment pour la liberté d’expression

Libres jusqu’à quand ? Le slogan de Reporters sans frontières a été repris par l’exposition à l’espace Mille feuilles de la Marsa où bédéistes et caricaturistes se sont exprimés sur le sujet.

 

Libres jusqu’à quand ? Le slogan de Reporters sans frontières a été repris par l’exposition à l’espace Mille feuilles de la Marsa où bédéistes et caricaturistes se sont exprimés sur le sujet.

« La liberté d’expression est-elle menacée en Tunisie ?» «Ben non puisqu’on est libres de penser à votre place, bandes de cons !» Le personnage du dessinateur Flask n’est pas le seul à dénoncer encore aujourd’hui la fragilité de la liberté d’expression tout juste acquise. Les dessins qui ornent les murs de galerie Mille Feuille le rappellent à tous. Vingt artistes toutes générations confondues se sont retrouvés à exposer quelques dessins sur le thème.

Un an après la révolution, le sujet est plus que jamais d’actualité à l’approche du procès de la chaîne Nessma TV et après l’affaire des caricatures du prophète à Mahdia. «Pour moi il faut se battre pour la liberté d’expression, elle n’est en rien acquise en Tunisie» déclare Flask. Lui-même avait reçu beaucoup de critiques pour son dessin caricaturant Rached Ghannouchi, mais cela ne l’a pas empêché de choisir les dessins les plus «choquants » selon lui pour l’exposition. La liberté d’expression semble loin d’être acquise lorsque l’on regarde un à un les dessins, certains datent d’à peine quelques jours après le départ de Ben Ali, d’autres sont plus récents comme ceux sur les violences policières. Chaque style rappelle à sa manière que la liberté d’expression est encore récente. La plupart des caricatures ont pour thématiques les politiques comme Rached Ghannouchi ou Moncef Marzouki, la police, les salafistes et parfois les médias, mais peu parlent de certains sujets tabous comme la religion ou la sexualité. Pour le dessinateur Adenov « se battre une fois pour la liberté d’expression n’est jamais suffisant, il faut continuer sans arrêt surtout face au pouvoir politique. Mais c’est vrai qu’en Tunisie, elle n’est pas encore vraiment orientée.»

Interrogés sur l’affaire des internautes poursuivis en justice à Mahdia pour avoir caricaturé le prophète, les artistes sont plus prudents. Pour Adenov, même si la peine de sept ans de prison est trop lourde selon lui, il désapprouve en tant que «musulman», l’acte. «Il y a un certain usage à faire de la liberté d’expression. Pour moi, choquer, surtout par rapport à une croyance, ce n’est peut-être déjà plus de la liberté d’expression. Certaines des caricatures étaient vraiment dégradantes. Je pense que l’on a encore besoin de temps pour vraiment arriver à savoir quelle liberté d’expression nous voulons.»

Chedly Belkhamsa, dessinateur au journal La Presse depuis une trentaine d’années a vu passer les différents régimes. Avant, il ne s’attaquait pas au pouvoir, maintenant la liberté d’expression, lui permet surtout de pointer certaines dérives comme la maltraitance des journalistes par les membres du gouvernement. «Je ne suis pas tendre avec les journalistes non plus, certains ont besoin qu’on les titille un peu pour sortir de l’autocensure.» Cependant, pour lui, la liberté d’expression doit avoir un cadre éthique et juridique. Même s’il semble défendre Nadia El Fani dans l’une de ses caricatures, il précise bien ne pas aimer la «provocation à outrance». «Nous sommes dans une société où la majorité des gens ne veulent pas que l’on insulte le prophète, je pense que le caricaturiste doit savoir respecter ça. Il faut savoir traiter des tabous et des problèmes d’une société dans un contexte précis et non attiser le feu, lorsqu’il y a déjà des tensions. Peut-être que c’est cela qui crée les divisions actuelles au sein de la société.» affirme-t-il.

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Chedly Belkhasma à l’exposition pour la liberté de la Presse. Espace d’art Mille Feuilles – La Marsa

Quant à la célèbre Willis from Tunis qui vient d’être honorée du Prix Daumier à Caen par l’association Cartooning for Peace, ses aquarelles du fameux chat semblent rappeler au spectateur, qu’il faut toujours «réfléchir» sur la question de la liberté d’expression et ne jamais la prendre pour un acquis comme elle le déclare elle-même : «Personnellement, je ne ressens aucune pression et je m’exprime librement. Il est clair que j’ai subi des menaces mais cela fait partie du “jeu”. Il est évident que les méthodes d’intimidations et de menaces rappellent fortement l’ancien régime. La liberté d’expression est une des seules victoires concrètes de la révolution. Nous devons rester vigilants.»

 

Lilia Blaise

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