«La révolution confisquée», dernier livre de Pierre Puchot, grand reporter à Mediapart, est paru le 18 avril. Pendant un an, le journaliste a enquêté sur cette année de transition en Tunisie. Un essai où chaque chapitre apporte son lot de révélations…
«La révolution tunisienne n’est-elle qu’un mirage ?». Cette question est posée 15 mois après le 14 janvier 2011 dans le dernier livre de Pierre Puchot, grand reporter Maghreb/Moyen Orient à Mediapart. Son premier livre, «Tunisie, une révolution arabe » (Editions Galaade, 2011) était une compilation de ses articles parus sur le journal français depuis 2008 et jusqu’au soulèvement. Pour ce second ouvrage, édité chez Actes Sud, et intitulé «La révolution confisquée » (sommaire ici), l’auteur a enquêté pendant un an pour dresser un tableau de cette année de transition.
«Il n’était pas difficile de savoir qu’au lendemain du 14 janvier, il allait se passer des choses extraordinaires », commente Pierre Puchot qui couvre la Tunisie depuis 2008. Chaque mois, pendant un an, le journaliste français s’est rendu en Tunisie pour rencontrer les principaux acteurs de cette transition, de Yadh Ben Achour à Kamel Jendoubi, en passant par Moncef Marzouki ou encore Ali Seriati. Un an de travail qui a permis de dévoiler ce qui s’est passé le 14 janvier 2011 (chapitre 1), mais aussi les coulisses du ministère de l’Intérieur (chapitre 2) ou encore les défaillances de l’industrie du tourisme (chapitre 7).
Un livre certes journalistique, basé sur des enquêtes et des reportages, mais un récit historique aussi qui permet de faire le point et de comprendre les transformations de la société tunisienne. La chronologie et le lexique, disponibles à la fin, offrent des repères appréciables au lecteur. Politique, économie, société, cet essai aborde toutes les thématiques, sans tabou, et permet de replacer le curseur sur les enjeux économiques et sociaux.
«Une révolution confisquée, a déclaré l’auteur à Tekiano, parce que le jour même du départ de Ben Ali, il y a une continuité et une volonté d’appliquer l’article 57 de la Constitution. Cette révolution est d’abord confisquée par l’ «establishment» de Ben Ali » (chapitre 1). Mais confisquée aussi parce que «le ministère de l’Intérieur n’a pas été touché, ni écorné. Une personne comme Yassine Tayeb qui a participé à la répression à Kasserine, a été promu directeur général au sein du ministère de l’Intérieur ».
Le second chapitre de ce livre de plus de 300 pages est consacré à la forteresse de l’avenue Habib Bourguiba. Il s’agit très certainement du chapitre le plus intéressant. Témoignages à l’appui, cette trentaine de pages met en exergue une sorte de guerre au sein même du ministère de l’Intérieur, dont «la police politique» de Taoufik Dimassi, nommé directeur général de la sécurité publique et qui serait «l’homme de Kamel Letaïef» (p.88), serait visée. L’enquête de l’auteur révèle également le rôle de l’ombre de cet homme d’affaires : «C’est ce dernier qui a la haute main sur la vie politique et sur les affaires en Tunisie. C’est lui protège d’anciens responsables du régime précédent, tel Dimassi» (p.88).
Une enquête possible «grâce à Samir Feriani, qui est sorti de son silence, et à son avocat Mohamed Abbou, mais aussi grâce aux policiers qui ont posté des vidéos sur Youtube ou encore ceux qui avaient soif de ne pas voir cette révolution inachevée et qui se sont confiés à moi. Et je les en remercie», dévoile Pierre Puchot pour qui «toutes les conditions sont réunies pour faire du journalisme d’enquête et de terrain en Tunisie». «Avant c’était compliqué pour moi de venir en Tunisie. Mediapart était bloqué en Tunisie depuis mars 2008 à la suite d’un article sur l’islam radical. Et j’avais reçu la visite de personnes du Consulat tunisien à Paris qui me demandaient «d’écrire des choses positives sur la Tunisie». Depuis le 14 janvier, on peut travailler et il y a une certaine reconnaissance pour les journalistes qui ont enquêté avant 2011».
Son travail l’a aussi bien mené à Gafsa, qu’à Kasserine ou encore à Tabarka. Au fil des pages, le lecteur découvre ou redécouvre que cette révolution a aussi, d’une certaine manière, été confisquée par les partis politiques (chapitre 5) qui ont boudé le terrain et la sensibilisation de la population, à l’exception d’Ennahdha, à l’approche de l’élection du 23 octobre. Et chaque chapitre a son lot de révélations : Kamel Jendoubi avoue que «le financement [des élections, ndlr] était très léger » (p.180) ou encore Ahmed Smaoui, ancien PDG de l’ONTT et de Tunisair, s’emporte «les hôtels sont nuls, le service est nul ! Trois cent euros, c’est tout ce que ça vaut !» (p.244).
«Il s’agit certes d’une révolution confisquée, mais le souffle révolutionnaire existe et les transformations sociales et politiques sont toujours en cours », conclut l’auteur. Pour ce journaliste de 32 ans, «la priorité est que le livre soit lu ici, en Tunisie».
La révolution confisquée, un livre de Pierre Puchot. Ed. Actes Sud, 2012, 331p.
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