«Soulagée», c’est le premier mot qu’a sorti Madame Saida Garrach, représentante de l’ATFD, lorsque Ramzi Bettibi a annoncé qu’il arrêtait sa grève de la faim avec ses compagnons. Le combat est-il pour autant fini ?
«Soulagée», c’est le premier mot qu’a sorti Madame Saida Garrach, représentante de l’ATFD, lorsque Ramzi Bettibi a annoncé qu’il arrêtait sa grève de la faim avec ses compagnons. Le combat est-il pour autant fini ?
Lundi 11 juin, le local de Nawaat était plein à craquer. Les journalistes de la presse étrangère y compris la célèbre chaîne Al Jazeera ont aussi répondu présents. Pourtant, peu de caméras mise à part les deux petites de Ramzi, très vite confisquées par le tribunal étaient présentes aux procès du Kef tout comme lorsque le collectif des 25 avocats avait alerté de la situation d’un procès peu équitable le 9 mai au syndicat des journalistes. Peu médiatisé, l’appel a été suivi par la grève de la faim de Ramzi le 28 mai attirant de nouveau les médias sur une affaire qui ne cesse d’être oubliée. Quant aux autres grévistes comme Emine, ils se disent «fatigués» et «contents» de reprendre leur travail de journaliste. Plus qu’une simple question de transparence ou de défaillance judicaire, la grève a aussi été une mobilisation citoyenne et médiatique qui a finalement interpellé les principaux concernés : les politiques et le Ministère de la défense.
Face à la non-médiatisation d’une affaire qui devrait «concerner tous les tunisiens» comme le signalait le Parti Pirate dans un communiqué de soutien, les grévistes ont créé l’évènement et fait du procès une actualité pendant plus de deux semaines. Une actualité qui serait certainement retombée quelques jours après l’annonce de la peine de mort requise contre Ben Ali. En effet, il a fallu près de 10 jours de grève pour que les élus du peuple, s’intéressent de nouveau à l’affaire des martyrs. Depuis la publication du rapport de Taoufik Bouderballa, la commission des blessés et des martyrs de la révolution n’avait pas vraiment commenté les procès du Kef ni ceux du Grand Tunis. Lors de la conférence de lundi, les députés étaient au premier rang, certains de la commission des martyrs de la révolution, d’autres par soutien comme Samir Ettaieb (Al Massar), Abderraouf Ayadi (CPR) ou encore Karima Souid (Ettakatol), oreilles grandes ouvertes assurant leur ralliement à la cause des grévistes. Leur présence a été en partie une des causes pour mettre fin à la grève de la faim : «Nous avons fait passer notre message» a déclaré Emine M’tiraoui. Le Ministre de la défense interviendra quant à lui le mercredi 13 juin au sein de la commission qui s’occupe des blessés et des martyrs de la révolution.
La grève sauvage pose la question du média comme contre-pouvoir. Le journaliste doit-il recourir à de tels moyens pour se faire entendre ?«Nous ne soutenons pas les grèves de la faim qui sont souvent des recours extrêmes et qui mettent en péril les militants».A déclaré Saida Garrach qui s’est montrée inquiète de la tournure que la grève a prise. Mais elle souligne un point intéressant, c’est vrai au fait, dans quel pays «démocratique», un journaliste s’est récemment mis en grève de la faim pour une cause ?
N’oublions pas que Ramzi, Emine et Houssem ont suspendu leurs activités journalistiques pendant 10 jours pour se mobiliser.Qui se souvient aujourd’hui que le journaliste Emine M’tiraoui avait été agressé et sa caméra cassée lors d’une confrontation avec un groupe à sa sortie du local du parti Ennahdha. Il n’a à ce jour, reçu aucun communiqué d’excuse comme promis par le parti en échange d’un certain étouffement de l’affaire, ni d’enquête sur l’inaction des policiers sur place lors de son agression.
Certes le sujet des martyrs n’est pas un sujet qui «fait vendre» comme on peut l’entendre dans le quotidien journalistique, trop d’émotion, trop de pathos, pas assez de grabuge ou de «scoop». Comme l’a montré la blogueuse Olfa Rihahi dans un billet intitulé «un journaliste massacré par un salafiste», les médias tombent depuis quelques jours dans la focalisation sur une réalité certes effrayante mais qui n’est pas la seule réalité à laquelle sont confrontés les Tunisiens. C’est aux médias qu’il appartient aussi en partie de faire l’actualité. A nous de trouver les moyens pour rendre le sujet plus vendeur, et montrer que les objectifs de la révolution se jouent au sein même de ces salles d’audience.
Face à un « Black-out médiatique » sur un procès historique, ce sont ainsi des journalistes et des blogueurs qui se sont emparés de la cause. C’est en cela que la grève de Ramzi et de ses collègues reste symbolique. Elle marque un retour au «journalisme engagé» qui est la marque de fabrique de Nawaat mais qui devrait rallier aussi d’autres journalistes tunisiens.Non, tous les journalistes ne devraient pas forcément faire une grève de la faim mais tous les journalistes ne devraient-ils pas suivre attentivement les prochains procès «historiques» et se battre pour leur transparence ? Le combat pour la vérité n’est pas l’apanage des rédacteurs de Nawaat seulement mais celui de tout journaliste digne de ce nom et ce combat n’est pas prêt d’être fini. Ramzi Bettaieb nous a donné à tous une belle leçon de journalisme.
Lilia Blaise
A Lire :
Affaire Ramzi Bettibi : Suspension de la grève de la faim, poursuite de la mobilisation
Tunisie : Des blogueurs en grève de la faim en soutien à Ramzi Bettaieb
Tunisie : Le gouvernement souhaite-t-il une réforme des médias ?