Les Libyens ont voté le 7 juillet pour élire leur Congrès national. Climat tendu pour ces premières élections libres après 42 ans de règne de Kadhafi. Reportage à Benghazi.
«On est libre, on peut enfin s’exprimer. Mais ce n’est pas la première fois que je vote. On a voté en mai pour des élections locales». Malek, 25 ans et vivant à Benghazi, affiche un large sourire. Le 7 juillet, les Libyens ont élu les 200 députés du Congrès national qui remplacera le Conseil national de transition en perte de légitimité. Cent-vingt sièges sont réservés aux candidats indépendants et 80 à ceux issus des partis politiques. Près de 60% des inscrits sur les listes électorales se sont rendus aux urnes, selon les premiers chiffres officiels.
Comme en Tunisie, les jeunes et les moins jeunes montrent fièrement l’extrémité de leur index droit maculé de bleu. Malek a voté pour Mahmoud Jibril, ancien Premier ministre, et leader de l’Alliance des forces nationales. «Il est éduqué et puis, je suis contre les Frères musulmans [au sein des partis Adala wa Bina etel-Watan figurent des membres des Frères musulmans, ndlr]. Je n’aime pas ces partis qui jouent avec la religion. Je suis musulman, je n’ai pas besoin qu’on me dise comment je dois pratiquer ma religion», lance celui qui s’est battu au sein de la Katiba du 17 février et qui a depuis repris ses études de médecine.
Salwa prend des photos. Elle aussi a son index coloré en bleu. Mais pour cette franco-libyenne de 35 ans, qui en paraît 10 de moins, le vote n’est pas nouveau. «Franchement, j’ai pleuré en votant ici. J’ai vu ce que représente vraiment une élection», avoue cette femme non voilée et portant un keffieh palestinien autour du coup. Le 15 février 2011, elle a atterri à Benghazi «pour soutenir la révolution». Depuis, elle n’est plus retournée à Paris. «Je ne vais pas quitter mon pays au moment où il en a le plus besoin», lance, comme une évidence, Salwa qui concède n’avoir «jamais ressenti beaucoup d’amour pour la Libye» avant la révolution.
A 16 ans, Lina a également le doigt bleu. Timidement, son visage poupon cerclé d’un voile pourpre, elle avoue «avoir voulu faire comme tout le monde». Tout comme Sofiane, 26 ans. «J’ai oublié de m’inscrire sur les listes, mais j’ai accompagné des amis. J’avais un peu honte de ne pas avoir voté», rigole-t-il. Dans le centre de la ville, les klaxons retentissent. Des jeunes hommes dansent dans la rue. Sourires, drapeaux, klaxons, les familles sont sorties pour fêter leur vote.
Mais au rond-point du fleuve, les échanges de tirs ternissent l’ambiance festive du centre. Un jeune a été tué dans la soirée du 7 juillet. Il s’agissait d’un «fédéraliste». Plus tôt dans la journée, un groupe d’hommes armés de kalachnikov et de RPG se revendiquant du mouvement «fédéraliste» ont attaqué plusieurs bureaux de vote. Une personne a été blessée.
Les jours précédents le scrutin, la tension était montée d’un cran à l’est du pays. Le 6 juillet, un hélicoptère a essuyé des tirs et un fonctionnaire a été tué. Des terminaux pétroliers ont également été bloqués. Des actes attribués au mouvement fédéraliste. Ce groupe difficilement quantifiable, demandait une révision de la répartition des sièges au sein du Congrès national. Afin de calmer les tensions, le Conseil national de transition a publié un amendement le 5 juillet, alors que les Libyens de l’étranger commençaient à voter, modifiant les prérogatives du Congrès national. Selon cette nouvelle règle, ce parlement sera seulement chargé de nommer le Premier ministre et le prochain gouvernement. Il a été délesté de sa mission constitutionnelle. Alors qu’il devait nommer les 60 membres du comité constitutionnel, ce dernier devrait directement être élu par le peuple par le peuple.
Après l’attaque de la première école, vers 10h du matin, les citoyens ont pris leur voiture et la ville s’est transformée en un immense concert de klaxons en guise de protestation. Les chauffeurs brandissant leur carte d’électeur. «On est habitué», déclare résigné Oussama. Cet étudiant en médecine a voté «plus tôt que prévu. Quand j’ai vu ce qu’il s’était passé, je suis vite allé voter !»
Ahmed, 25 ans, a observé l’attaque de la première école. Des urnes ont été emportées, des bulletins de vote brûlés. Il a ramassé un cahier orange sur lequel sont attachés les bulletins. «Un souvenir», dit-il d’un ton mitigé. Lui appartient au mouvement des fédéralistes et appelle au boycott des élections depuis plusieurs mois. Mais l’attaque matinale, à laquelle il a assisté, l’a «déçue». Ce jeune homme, barbe de trois jours et tee-shirt bleu, était pourtant présent le 1er juillet, lorsque des membres de son groupe ont saccagé le local de la commission électorale à Benghazi. Mais à la mi-journée, celui qui était infirmier à Benghazi pendant la révolution du 17 février, lâche : «je crois que je vais aller voter. Je ne veux pas que les islamistes passent et puis… je ne veux pas que mon combat soit défendu par les armes».
Depuis Benghazi, J.S
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