Entre annulation de programmes et luttes internes, des journalistes se retrouvent sans émission tandis que d’autres sont interdits d’entrée, l’affaire RTCI secoue le milieu médiatiques depuis plusieurs jours. Que se passe-t-il à la radio nationale ?
La période du Ramadan en Tunisie s’annonce problématique. «Chers auditeurs, je vous ai menti ce matin sur antenne: “Chocolat chaud” sur RTCI se voit contraint et forcé de s’arrêter. Aucun compromis n’est possible lorsqu’on vous somme de changer le nom de l’émission pour le mois de Ramadan parce qu’un titre à connotation gastronomique risque d’offenser les auditeurs qui font le jeun… ». Ainsi commence le statut Facebook de Najoua Zouhair qui dénonce ouvertement une forme de nouvelle censure apparue récemment au sein de Radio Tunis Chaîne Internationale (RTCI). Plus qu’un coup de gueule, elle s’indigne aussi contre des conditions de travail à la radio publique. «”Chocolat chaud” s’arrête parce qu’il n’y a aucune considération pour le vrai travail journalistique et pour le journaliste qui exerce et pratique le métier sur le terrain. On préconise un journalisme d’autosuffisance, sédentaire, paresseux, partisan du moindre effort, dépourvu du sens de l’investigation et du plaisir de l’instantané, qui restitue fidèlement les dépêches des agences de presse locales et internationales tout en restant gentiment dans un bureau. La planque avec un salaire en prime! Non merci! » déclare-t-elle.
Najoua Zouhair n’est pas la seule à voir son émission modifiée. Les titres de diverses émissions ont été changés, indépendamment du mois de Ramadan, mais par rapport à la grille estivale.
La radio serait-elle en pleine réforme ? Depuis le brusque limogeage de l’ancien directeur Habib Belaïd, il semble que son successeur soit confronté à plusieurs problèmes : des nominations en masse lundi 2 juillet et des journalistes dont les programmes sont changés à tout va comme en témoigne la récente altercation entre Nadia Haddaoui et la nouvelle directrice de RTCI Donia Chaouch. La journaliste s’est retrouvée interdite d’entrée au sein de la radio alors qu’elle venait animer son émission en compagnie de la journaliste et militante Om Zied. La cause ? Depuis le début de la semaine, des tensions latentes entre elle et la directrice fraîchement nommée étaient présentes, notamment à la suite d’une émission où le chanteur Bendir Man avait critiqué Moncef Marzouki. Ce dernier s’est d’ailleurs exprimé sur son profil Facebook «La nouvelle directrice de RTCI vient de censurer le podcast, virer l’animatrice Nadia Haddaoui qui a fait l’interview avec moi sous prétexte que j’ai été insultant envers le président.» Le chanteur affirme qu’il n’a manqué de respect à qui que se soit et ironise : «virer quelqu’un a cause des propos de quelqu’un d’autre ca s’appelle en langue française : ânerie».
Donia Chaouech y répond mardi 10 juillet sur Kapitalis et déclare avoir des «des enregistrements avec des insultes et des diffamations ». Elle affirme : «La journaliste doit se démarquer. Elle n’a pas à rigoler et à se mettre dans un camp contre un autre. Je lui ai adressé un questionnaire, elle n’a pas répondu.». avant de défendre sa position par rapport aux accusations des deux journalistes : « Elles ne veulent pas faire leurs 36 heures de travail hebdomadaire comme tous leurs collègues. A l’antenne, elles ne se comportent pas comme journalistes et elles sont partiales».
La version de Nadia Haddaoui et Najoua Zouheir, n’a pas uniquement été rejetée par la directrice de la radio. Sur les réseaux sociaux, une note –non signée- avançant la version de leurs confrères de RTCI circule. Les journalistes voient leurs emportements comme grotesques : «avançant des obligations familiales, l’une des journalistes décide d’arrêter sa rubrique matinale et accepte de rejoindre le JPF, elle n’y a jamais été vue et est en situation d’abandon de poste en ayant laissé derrière un beau buzz totalement inutile et une histoire rocambolesque sur des considérations culinaires ramadanesques».
Au final, même si chacun ne s’accorde pas sur la version des faits, la guerre de clans est bien visible à RTCI où la solidarité entre journalistes ne semble pas de mise comme le conclue le journaliste Thameur Mekki qui a enquêté sur l’affaire. «Le clanisme de certains animateurs de RTCI me dégoûte. L’interférence de la direction dans des questions journalistiques ainsi que la censure d’un podcast sont cautionnées par des journalistes sur un fond de corporatisme inconditionné. L’arbitraire devient, ainsi, un drapeau défendu. Finalement, je répète que Ben Ali a mis en place une institution culturelle. Et ses défenseurs se baignent dans un bassin d’ignorance surtout quand ils tournent le dos à des faits.»
Si les versions sont différentes, le fond reste le même. Les établissements médiatiques publics sont aujourd’hui confrontés à un double problème : la guerre entre journalistes de l’ancienne garde et les nouveaux arrivants mais aussi un manque de structure juridique et de protection. La dissolution de l’INRIC le 4 juillet n’arrange rien pour ces journalistes qui se retrouvent livrés à eux-mêmes comme après la révolution. Dénoncé par l’ONG Reporters Sans frontières, le manque de transparence dans les médias publics vient s’ajouter à la non-application des deux décrets lois 115 et 116 supposés réformer le code de la presse et mettre en place une haute instance de régulation de l’audiovisuel.
Lilia Blaise
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