Artistes, journalistes et autres blogueurs sont poursuivis en justice pour «trouble à l’ordre public». Ce terme, déjà utilisé sous Ben Ali pour poursuivre ses opposants, est-il bien employé dans la justice actuelle ?
Si le concept existe dans de nombreux pays, les Tunisiens gardent le mauvais souvenir de ce fameux article 121 du Code Pénal qui a servi à condamner certains opposants politiques du dictateur. Aujourd’hui, l’article est toujours utilisé. Et son usage a souvent été controversé pour les défenseurs de la liberté d’expression. Le procès de Nessma TV et de son PDG Nabil Karoui pour la diffusion de Persépolis, le procès du directeur du journal Attounissia pour publication d’une photo de nue, deux internautes à Mahdia pour avoir caricaturé le prophète ou encore l’arrestation en août du journaliste Sofiane Chourabi et autres plaintes.
Le Code Pénal tunisien prévoit une peine allant de six mois à cinq ans d’emprisonnement et une amende allant de 120 à 1.200 dinars pour les troubles à l’ordre public. Pour les juristes, c’est surtout l’interprétation du terme qui peut menacer les libertés. Pour le juriste Slim Laghmani, «la notion d’ordre public est un concept à géométrie variable et c’est le juge qui va donner son sens au terme».
A l’origine, la notion a été élaborée pour éviter le recours à la violence dans la société. L’ordre public recouvre la sécurité, la morale, la salubrité, la tranquillité et la paix publique qui peuvent être troublés par des nuisances, des attroupements violents et autres. La notion peut donc être utilisée dans la loi de manière préventive, c’est-à-dire pour empêcher qu’un évènement ne trouble l’ordre public ou de manière répressive, si dans les faits, il y a eu réellement troubles par exemple dans le cas de certaines manifestations où il y a eu des agressions. «C’est donc une notion très subtile et à double tranchant et cela dépend du degré d’indépendance de la justice pour trancher sur ce genre d’affaires» renchérit M. Laghmani.
Le problème dans le cas tunisien est de deux ordres : Parfois, on punit ceux que l’on soupçonne avoir troublé «l‘ordre public», parfois on ne punit pas ceux qui l’ont réellement troublé dans les faits, à savoir, ceux qui ont eu recours à la violence. Dans le cas des extrémistes religieux ou des auteurs d’agressions envers les manifestants, certains sont arrêtés puis relâchés quelques jours plus tard souvent faute de preuves ou de charges (lire l’article au sujet des incidents de Bizerte).
Lilia Blaise
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