«Le niveau de sécurité des défenseurs [des droits de l’Homme] s’est détérioré à plusieurs endroits suite à l’exercice de leurs droits fondamentaux, y compris dans des zones urbaines hors de Tunis». …
De façon générale, ces deux expertes se disent «préoccupées que des femmes défenseures des droits de l’homme, des journalistes, des artistes, des universitaires, des syndicalistes et des membres d’organisations non gouvernementales aient subi des attaques physiques, des tentatives de meurtre, du harcèlement et des menaces après la Révolution dans différentes parties du pays». Le manque de réponse de la part de la police envers ces actes dont «les auteurs sont dans bien des cas des islamistes conservateurs, communément appelés des salafistes dans la région» est également pointé du doigt.
Durant leur séjour, qui les a conduit jusqu’au Kef en passant par Sidi Bouzid, elles ont eu l’occasion de rencontrer de nombreux acteurs gouvernementaux (ministres des Droits de l’Homme et de la Justice transitoire, de la Justice, des Affaires sociales…), les Présidents de la Commission des droits et des libertés au sein de l’ANC, du Comité Supérieur des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales, de la Cour de cassation, des gouverneurs et autres chefs de la police et de la garde nationale, et de nombreux représentants de la société civile (entre autres !). Ces discussions et les documents qu’elles ont pu analyser leur ont permis de dresser des constats et de formuler des recommandations sur différents points pour consolider ou préserver les libertés nécessaires à la défense effective des Droits de l’Homme en Tunisie.
La liberté d’assemblée pacifique, sans sécurité
«Des individus exerçant leur droit à l’assemblée pacifique ont été blessés et dans quelques cas perdu la vie à cause d’actes de violence commis par des contremanifestants ou du recours excessif à la force par la police et/ou la Garde Nationale. Il nous semble que l’incident le plus sérieux pendant la période post révolutionnaire est celui de la commémoration de la Journée des Martyrs à Tunis en date du 9 avril 2012». Malgré l’établissement d’un comité par le ministère de l’Intérieur, elles regrettent «qu’à ce jour, presque aucune information n’est disponible en ce qui concerne ses conclusions ».
« Des cas d’arrestations arbitraires et d’usage excessif de la force durant des manifestations dans les régions » nourrissent également leurs inquiétudes.
Les libertés d’association et d’expression restent mitigées
Les ‘rapporteuses’ déplorent l’absence de société civile active dans les zones hors de Tunis et particulièrement dans les zones rurales et le manque de coordination et de réseautage entre les ONG de façon plus générale. Elles ont également reçu « plusieurs rapports de traitement favorable envers des ONG perçues comme idéologiquement alignées au Gouvernement actuel ».
Elles constatent également que la liberté d’expression est mise à mal : « les violations signalées incluent le harcèlement et les attaques sur des artistes, des universitaires et des membres d’ONG engagés dans la promotion des droits culturels, le harcèlement judiciaire en rapport avec les arts culturels et des projections de films, et la perturbation d’événements culturels publics ».
La rédaction de la constitution, sujet de nombreuses craintes
La première mouture du rapport de ces expertes onusienne et de la CADHP (version finale en début 2013) s’attarde longuement sur la rédaction de la constitution, dont les modalités et l’ébauche préliminaire suscitent de nombreuses craintes. Le manque de transparence et d’ouverture dans le travail de l’ANC leur est apparu évident (consultations et soumissions ignorées, PV de réunions des commissions indisponibles, etc.).
Voilà pour la forme, et pour le fond, ces dames sont tout aussi inquiètes. Entre la prévalence de la constitution par rapport aux traités internationaux, la criminalisation de l’atteinte au sacré, les références à la complémentarité des rôles des femmes et des hommes, Mmes Sekaggya et Alapini-Gansou ont eu de nombreuses recommandations à formuler aux membres de l’ANC.
Et pour conclure cette présentation, si ambiguïté il y avait, la rapporteuse de l’ONU assène explicitant ainsi le peu de portée que son rapport aura en soi : «Dans tous les pays où je me suis rendue, je n’ai jamais vu de gouvernement dire aux citoyens ‘Tenez ! Voici vos droits !’. Si vous voulez des droits, vous devez vous battre pour les obtenir ! Alors, société civile, organisez-vous, réseautez, soyez proactifs, partagez vos informations. C’est le seul moyen de mettre la pression sur les hommes qui vous gouvernent».
Léna C.
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