L’association américaine de psychiatrie (qui n’est pas, par ailleurs, un congrès de saints) réclamait il y a quelques jours que le phénomène Candy Crush Saga…
L’association américaine de psychiatrie (qui n’est pas, par ailleurs, un congrès de saints) réclamait il y a quelques jours que le phénomène Candy Crush Saga, dont le nombre d’addicts ne cesse d’augmenter, soit reconnu “épidémie nationale” et qu’une cellule virtuelle d’aide à la désintoxication soit mise en place.
Lancé par l’entreprise britannique King en 2012, Candy Crush Saga est (avec son équivalent oriental Puzzle and Dragons) l’application la plus téléchargée au monde. Elle compte 80 millions d’usagers et réalise 700.000 euros de bénéfices par jour. Les analystes des jeux vidéo s’interrogent : comment une application aussi sotte, à base de bonbons multicolores flottants, a pu surpasser les jeux les plus sophistiqués développés pendant des années par les programmeurs de Nintendo?
Une simplicité qui fait son succès
Mais la clé du succès de Candy Crush réside justement dans ses défauts : le caractère enfantin et inoffensif (il n’y a ni violence ni sexe), l’éternel recommencement (jusqu’à 410 niveaux) ainsi que l’absence de contenus culturels spécifiques pouvant susciter adhésion ou rejet. Chasteté, idiotie et gratuité sont les conditions de possibilité de la globalisation de la dépendance.
Candy Crush est une discipline de l’âme, une prison immatérielle proposant une stricte temporalisation du désir et de l’action. Le jeu s’adresse à un sujet générique dépouillé de ses défenses sociales secondaires (ce qui explique peut-être que le plus grand nombre de joueurs soient ce que nous appelons socialement des «femmes») : le jeu établit un circuit fermé entre le cerveau limbique – qui gère la mémoire affective -, la main et l’écran. Candy Crush n’est pas un jeu d’apprentissage qui exerce l’habilité du joueur pour l’améliorer.
Un jeu addictif
C’est un simple jeu de hasard installé dans l’un de nos techno-organes externes le plus accessible et intime : le téléphone mobile. C’est Las Vegas dans la paume de ta main. L’objectif de Candy Crush n’est pas d’enseigner quoi que ce soit à l’usager, mais bien de capturer la totalité de ses capacités cognitives pendant un temps donné et de s’approprier ses ressources libidinales en faisant de l’écran une surface masturbatoire subrogée. Sur Candy Crush, le joueur ne gagne jamais rien : quand il termine un niveau, c’est l’écran qui orgasme.
Par ailleurs, Candy Crush remet en question la relation entre liberté et gratuité défendue par les partisans de la piraterie : la nouvelle stratégie de colonisation du monde virtuel passe par la création d’un jeu aussi simple que possible qu’on offre gratuitement, faisant en sorte que le joueur potentiel passe un maximum d’heures connecté. Une fois que le jeu a été greffé dans les habitudes vitales de l’usager, c’est le temps de jeu lui-même et ses formes associées de dépense (vies supplémentaires et boosters) qui sont producteurs de bénéfices.
Le joueur de Candy Crush gère une multiplicité d’écrans : il est souvent physiquement situé face à un écran d’ordinateur ou de télévision qui ne fonctionne plus comme cadre visuel principal, mais plutôt comme fond et périphérie, en même temps qu’il maintient un aller et retour incessant entre Facebook, Yahoo, Twitter, Instagram… Le chaste travailleur télé-techno-masturbateur contemporain est comme un aiguilleur virtuel enfermé dans une tour de contrôle quichotesque depuis laquelle il update d’une main tandis que de l’autre il ordonne des rangées de bonbons numériques.
Source : Liberation.fr
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