Farida Ayari, une grande journaliste franco-tunisienne, reporter de guerre, formatrice, consultante et passionnée de cinéma et de musique est décédée brutalement et discrètement dimanche 17 décembre 2017 succombant à une crise cardiaque à Paris.
Une des rares tunisiennes à avoir parcouru le monde pour couvrir ses actualités brûlantes entre le début des années 70 et le milieu des années 2010, Farida a rapporté les chamboulements qui ont façonné les continents et qui ont écrit l’histoire des peuples; “Du nord au sud de l’Afrique, d’Est en Ouest, de Casablanca à Téhéran, au Pakistan et en Afghanistan. Des événements mondiaux m’ont permis quelques incursions en Amérique du sud et aussi loin qu’au Japon” précise-t-elle.
Femme de caractère qui ne mâche jamais ses mots, Farida était visionnaire avait un sens critique aiguë…Une bonne vivante qui ne ratait aucune occasion pour faire la fête et relater ce qu’il y a de plus beau en Tunisie et ailleurs mais aussi les failles et et les bavures que plusieurs préféraient cacher…
Que de mieux pour lui rendre hommage que de la faire connaitre auprès du public et de découvrir un récit passionné résumant 40 ans de sa carrière de journaliste. Un parcours professionnel impressionnant qu’elle relate avec ses propres mots dans la note qui suit intitulée : 40 ans de journalisme (octobre 1975-octobre 2015) Je ne suis pas une femme, je suis journaliste:
Je me suis toujours demandée combien de tomes feraient mes écrits journalistiques. 40 ans de reportages, de conflits, de crises, de guerres. 40 ans de processus de démocratisation et de transitions : Du nord au sud de l’Afrique, d’Est en Ouest, de Casablanca à Téhéran, au Pakistan et en Afghanistan. Des évènements mondiaux m’ont permis quelques incursions en Amérique du sud et aussi loin qu’au Japon. L’économie m’a entraîné sur les plates-formes pétrolières en mer du Nord et j’ai visité Stavanger, ville pétrolière de Norvège, bien longtemps avant Oslo pour le Nobel de la Paix de Nelson Mandela et de Frederick De Klerk en 1993.Avant de plonger dans les townships sud africains, j’ai crapahuté dans les immensités du désert namibien où, partie couvrir, en novembre 1989, l’application de la résolution 435 de l’ONU qui devait consacrer l’indépendance de la Namibie, je me suis retrouvée à couvrir l’ultime fait d’armes de la Swapo (le mouvement indépendantiste) 600 km au nord du pays, à la frontière de l’Angola. Avec David Beresford, à l’époque correspondant du « Guardian », nous chantions « It’s a long way to Oshakatiiiii ! » en fonçant à toute allure sur l’asphalte impeccable que l’armée sud-africaine avait déroulée pour le mouvement de ses troupes. A Oshakati, nous dormions sur la base des SADF (South African Defence Forces), parterre sur des matelas dans les quelques chambres que l’armée sud-africaine avait mis à la disposition des journalistes. Mais pour balancer notre camelote, il fallait foncer à nouveau à Windhoek…Un seul téléphone était disponible sur la base militaire pour la centaine de journalistes dont les sud-africains ne faisaient pas grand cas. A l’époque, internet était balbutiant, les téléphones portables étaient aussi gros qu’une brique et je n’en avais pas.J’ai connu le Nagra de 12 kilos qui n’a pas été tendre pour ma scoliose héritée de l’adolescence et mes chambres d’hôtels étaient jonchées des chutes interminables de mes bandes magnétiques. Un cauchemar pour les femmes de chambre. Ce n’est qu’à l’orée de l’an 2000 que nous sommes entrés dans le confort du numérique.Et le 9 novembre 1989, le mur de Berlin tombait. Dans le petit Namibian Press Center que mes amis photographes John Rubython et Rasheed Lombard avaient eu la bonne idée de monter, nous étions tous rivés au transistor. Les chaînes toutes infos étaient aussi balbutiantes. Sylvia Vollenhoven, grande journaliste du Cap qui travaillait pour la presse suédoise a laissé tomber : « Our story has taken the second place… » Désormais, tout le monde se foutait de la Namibie et des quelques guérilleros qui avaient confondus la mise en place d’un processus d’indépendance avec une entrée triomphale dans Windhoek.La même année, il y eu la libération des compagnons de Nelson Mandela, et enfin le 11 février 1990, celle du big man…Un autre cauchemar de journaliste qui n’avait pas tous les moyens techniques pour communiquer avec sa rédaction. Trois jours, plus tard j’interviewais enfin Madiba dans sa match box (petite maison boîte d’allumettes) d’Orlando West, à Soweto, en compagnie de Christian Chaise, le chef du bureau de l’AFP. CNN et toutes les grandes chaînes anglo-saxonnes avaient fait des chèques conséquents à l’ANC pour obtenir une interview de Nelson Mandela. Je n’avais pas un rond pour la cause que je soutenais depuis déjà dix ans, mais j’ai convaincu Max Sisulu, le fils de Walter- vieux compagnon de Mandela, que si Mandela me parlait, il s’adresserait à toute l’Afrique francophone. Merci RFI !Madiba avait apprécié cette journaliste franco-tunisienne perdue en Afrique australe et désormais il m’abordait toujours par son fameux « Hello ! » ajoutant, « how is North ? » Il entendait bien sûr le Maghreb…Le Maghreb qui n’allait pas déjà très bien. La nuit de l’interruption du processus électoral, le 27 décembre 1990 au soir du premier tour des législatives qui avait accordé 47 % des suffrages au Front Islamique du Salut, Chérif Belkacem, ancien ministre d’Etat de Boumedienne, accepte de me parler on the record et me donne le scoop : l’Algérie sera dirigée par un Haut Comité d’Etat…Au bout d’une nuit presque blanche, nous voilà une cinquantaine de journalistes à l’aéroport d’Orly pour embarquer sur le premier vol d’Air France…Le vol était surbooké, mais le personnel d’Air France a fait passer la presse en priorité. Je me souviens que le vendredi suivant, nous étions tous en direction de la mosquée de Bab El Oued pour le prêche du FIS. J’étais avec mon confrère Sami Kleib du service arabe de RFI et un Frère m’arrête : « Désolée ma sœur, pour les femmes c’est l’autre porte ». Sans réfléchir, je lui lance : « Je ne suis pas une femme, je suis journaliste ! » « Alors, couvre-toi la tête ! » C’était l’hiver, j’avais une écharpe, le tour était joué.Chérif Belkacem m’offrira un autre scoop peu de temps après…Grâce à lui, RFI a été le premier média à annoncer l’arrestation de Lambarek Boumaarafi, l’assassin de Mohamed Boudiaf (29 juin 1992).J’ai encore un peu bourlingué dans les eaux troubles du Maghreb : A courir derrière Driss Basri, le tout-puissant ministre de l’Intérieur de Hassan II, sur le parcours du Golf Royal de Rabat, pour lui soutirer quelques infos. A passer quelques heures et une fois une nuit (trois fois en dix ans) dans les locaux du ministère de l’Intérieur de Ben Ali, à subir les interrogatoires débiles de sa police politique au sujet de telle ou telle chronique sur la Tunisie : les services de police monitoraient et scriptaient tout ce qui était dit sur la Tunisie sur les radios internationales. Chaque journaliste avait un dossier.Au milieu des années 90, j’ai replongé dans l’Afrique australe en ouvrant le bureau de RFI à Johannesburg. 14 pays à mon actif, de l’Angola au Mozambique et toutes les îles de l’Océan indien. En vacances aux Comores avec mon fils au printemps 1999, en pleine crise séparatiste, le colonel Azali Oussemani, prend le pouvoir par un coup d’Etat. Je confie mon fils pour le vol du retour à une famille française de Johannesburg qui était par hasard dans le même hôtel que nous, et je me rend à la caserne. J’arrive dans le bureau duColonel qui me dit : « Vous êtes arrivée ce matin par Air Austral ? » « Non, j’arrive du Galawa Beach Hôtel… » Et me voilà en train de papoter avec le colonel pendant une bonne heure sans matériel d’enregistrement…Il était très fier de souligner que c’était le premier coup d’état aux Comores sans Bob Denard, célèbre mercenaire français, l’âme damnée du président Abdallah. L’ambassadeur mauritanien Mahmoud Kane, qui était chargé par l’Union Africaine de gérer la crise séparatiste, m’invite à m’installer chez lui. Une position inestimable, aux premières loges des méandres de la politique comorienne avec tous les opposants qui défilaient à son domicile. A l’issue de cette semaine folle où, parfois je me suis amusée à faire la standardiste de l’ambassadeur Kane et tombait sur des confrères qui appelaient pour des interviews, c’est un officier tunisien, membre de la mission de l’UA, qui m’a conduite à l’aéroport. Evidemment, son autoradio était branché sur RFI.De retour à Paris à l’aube des années 2000, je me lance dans la tourmente du Proche Orient. Invasion de l’Irak en 2003, guerre d’Israël au Liban en 2006, des dizaines de fois dans les territoires palestiniens et en Israël, l’Iran avec les longues négociations sur le nucléaire. L’adrénaline était toujours là pour des heures et des heures de travail, cette fois dans des conditions optimum grâce au soutien logistique, technique et moral des techniciens de RFI : Le regretté Claude Verlon (assassiné le 2 novembre 2013 avec Ghislaine Dupont à Kidal, au nord du Mali), Stéphane Fourest, Bertrand Ecklerd et mon grand ami Manu Pochez.Je suis en Afghanistan quand la révolte tunisienne éclate. Je n’ai de cesse d’arriver aux termes de mon contrat avec l’UNICEF pour rentrer en Tunisie. Impatiente, je passe mon R&R (rest and recuperation- la semaine pour souffler que les organisations de l’ONU accordent à leur personnel toutes les six semaines dans les stations de crises ou de conflits) de février 2011 à Tunis et je tombe en plein Kasbah II.Je me libère de l’UNICEF en avril 2011 et une première mission pour l’UNESCO me conduit en Tunisie : Former les journalistes des radios régionales publiques au Kef, à Sfax, à Gafsa et à Tataouine. Je reçois mon premier coup de massue sur la tête. Je m’aperçois que sous la fine pellicule de vernis bling-bling, la Tunisie est un pays très conservateur et que les belles statistiques de Ben Ali n’étaient que du pipeau, notamment en matière d’éducation.Cela fait quatre ans que je vis en Tunisie. Et je dis souvent : « J’ai quitté la Tunisie en 1969 parce qu’elle était petite. Mais elle était ouverte. Aujourd’hui, elle est toujours petite, mais étriquée. »
Repose en Paix Farida Ayari, tu vas nous manquer.
S.B.