Les autorités tunisiennes confisquent et parcourent les téléphones d’hommes soupçonnés d’homosexualité, les contraignant à subir des examens anaux et à avouer leur orientation sexuelle, a déclaré l’organisme Human Rights Watch.
Les procureurs se servent ensuite des informations ainsi recueillies pour poursuivre ces individus en justice pour actes homosexuels entre partenaires consentants, en vertu des lois draconiennes du pays relatives à la sodomie.
« Les autorités tunisiennes n’ont aucun droit de s’immiscer dans les pratiques sexuelles privées, de brutaliser et d’humilier les gens au prétexte de faire respecter des lois discriminatoires », a déclaré Amna Guellali, directrice du bureau de Tunis de Human Rights Watch. « La Tunisie devrait abolir ces lois archaïques contre la sodomie et respecter le droit de chaque individu à sa vie privée. »
Human Rights Watch a mené des entretiens avec six hommes poursuivis en 2017 et 2018 en vertu de l’article 230 du code pénal, qui punit jusqu’à trois ans de prison des comportements consentis entre individus du même sexe. L’un des hommes interrogés n’avait que 17 ans la première fois qu’il a été arrêté. Human Rights Watch a également examiné les dossiers judiciaires de ces affaires et cinq autres ayant abouti à des poursuites au titre des articles 230 ou 226, qui érigent en infraction pénale l’« outrage public à la pudeur». Outre qu’elles constituent une violation du droit à la vie privée, ces affaires sont marquées par des allégations de mauvais traitements infligés en détention par la police, d’extorsion d’aveux, et de déni de leur droit d’accéder à un avocat.
La police a arrêté certains de ces hommes lors de différends survenus entre eux ou après signalement par leurs voisins. Deux d’entre eux s’étaient rendus à la police pour porter plainte pour viol. Certains ont passé des mois en prison. Au moins trois d’entre eux ont quitté la Tunisie et demandé l’asile dans des pays européens.
K.S., un ingénieur âgé de 32 ans, est entré dans un poste de police à Monastir en juin 2018 pour déposer une plainte pour viol collectif et obtenir une ordonnance d’examen médical de ses blessures. Au lieu de le traiter comme une victime, a-t-il relaté, la police a ordonné un examen anal pour déterminer si K.S. était « habitué à la sodomie ». « La manière dont j’ai été traité était affreuse », a déclaré K.S. à Human Rights Watch. « D’où la police tire-t-elle le droit de s’immiscer dans mes parties intimes et de vérifier si je suis habitué à la sodomie ? »
Dans une affaire distincte, un adolescent âgé de 17 ans a été arrêté à trois reprises pour sodomie et contraint de subir un examen anal et une thérapie de conversion pendant des mois dans un centre de détention pour mineurs. Ces deux pratiques dangereuses sont discréditées.
Les procureurs tunisiens se sont largement appuyés ces dernières années sur des examens anaux forcés pour rechercher des « preuves » de sodomie, même si de tels examens sont extrêmement peu fiables et constituent un traitement cruel, dégradant et inhumain pouvant relever de la torture.
Le 21 septembre 2017, lors de son Examen périodique universel au Conseil des droits de l’homme de l’ONU, la Tunisie a officiellement fait sienne une recommandation demandant la fin des examens anaux forcés. Cependant, la délégation tunisienne a déclaré que « les examens médicaux se dérouleront avec le consentement de la personne et en présence d’un expert médical ». Cette position n’est pas tenable dans la mesure où les tribunaux peuvent conclure que le refus de subir l’examen est un signe de culpabilité, a souligné Human Rights Watch. La Tunisie devrait renoncer définitivement à ces examens anaux, sans le lier au consentement.
Les poursuites judiciaires pour relations sexuelles consenties entre adultes constituent une violation des droits à la vie privée et à la non-discrimination, tous deux protégés par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel la Tunisie est partie. Le Comité des droits de l’homme de l’ONU, qui surveille le respect de cet instrument juridiquement contraignant, a déclaré que l’orientation sexuelle est un statut protégé de toute discrimination. Le groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire a conclu que les arrestations pour comportement homosexuel entre adultes consentants sont, par définition, arbitraires.
L’article 24 de la Constitution tunisienne de 2014 contraint le gouvernement à protéger le droit à la vie privée et l’inviolabilité du domicile. L’article 21 dispose que « Les citoyens et les citoyennes sont égaux en droits et en devoirs. Ils sont égaux devant la loi sans discrimination ». L’article 23 interdit « la torture morale ou physique ».
Le Code de procédure pénale interdit les perquisitions à domicile et la saisie d’objets susceptibles de faire l’objet d’une enquête pénale en l’absence de mandat judiciaire, sauf en cas de flagrant délit, c’est-à-dire lorsqu’une personne est prise sur le fait.
L’article 1 de la loi n° 63 sur la protection des données à caractère personnel stipule que « toute personne a le droit à la protection des données à caractère personnel relatives à sa vie privée comme étant l’un des droits fondamentaux garantis par la constitution et ne peuvent être traitées que dans le cadre de la transparence, la loyauté et le respect de la dignité humaine». Toutefois, ni la loi n° 63 ni aucune autre loi domestique ne règlemente les conditions de la saisie de données personnelles pendant une enquête de police ou leur utilisation.
Le 12 juin, la Commission sur les libertés individuelles et l’égalité, établie par le président Beji Caid Essebsi, a proposé, entre autres mesures, de dépénaliser l’homosexualité et de mettre fin aux examens anaux dans le cadre des enquêtes pénales relatives à l’homosexualité. Elle a également proposé de criminaliser « l’interception, l’ouverture, l’enregistrement, la diffusion, la sauvegarde et la suppression » illicites d’un message électronique.
Le 11 octobre, 13 membres du Parlement tunisien ont présenté un projet de loi sur un code des libertés individuelles. Ce code inclut plusieurs propositions de la commission présidentielle, notamment l’abolition de l’article 230.
Le Parlement devrait agir rapidement sur ce projet de loi et abolir l’article 230, a préconisé Human Rights Watch. Il devrait promulguer une loi qui protège efficacement la vie privée des personnes en encadrant la saisie et l’utilisation de données à caractère personnel dans le cadre d’enquêtes pénales, avec des conséquences en cas de violation de cette loi.
Dans l’intervalle, le ministère de la Justice devrait enjoindre aux procureurs de mettre fin aux poursuites engagées en vertu de l’article 230. Le ministère de l’Intérieur devrait de son côté enquêter sur les informations faisant état de mauvais traitements infligés à des personnes arrêtées en raison de leur identité de genre ou de leur orientation sexuelle.
D’après communiqué