“Carthage dance 2020”, le festival de danse de Tunisie n’aura pas lieu cette année. Le rendez-est reporté pour 2021, pour continuer la danse. Nous publions ci dessous la lettre manifeste de Mariem Guellouz directrice des journées chorégraphiques de Carthage:
« Carthage dance » n’aura pas lieu.
Et si, sans la nommer, l’on parlait d’elle ?
Elle, c’est la beauté du quotidien. Elle, c’est le geste absolu. Elle, c’est la joie du partage. Elle, c’est le rêve incessant. Elle, c’est l’infinitude des corps, la plénitude des espaces et des temps. Elle, c’est le sens de nos mouvements. Elle, c’est la poétique du politique.
Et si, sans la nommer, l’on parlait d’elle pour ne pas oublier nos histoires et nos mémoires ?
Elle, c’est ceux et celles qui y ont cru. Elle existe grâce à des générations qui ont fait le choix
de prendre son chemin difficile pour la vivre à l’absolu. Elle, c’est vous quand elle remplit votre regard de beauté et de force. Elle, c’est nous, quand on vous l’offre. Sa mémoire est bafouée, oubliée. Ses plaques cassées, ses centres fermées, son histoire inconnue. Elle arrache sa place et veut exister. A côté de ses voisins, elle peine à être reconnue, connue. Elle, c’est la mémoire des corps maltraités, instrumentalisés, torturés. Elle, c’est aussi la mémoire des corps jouissants, joyeux et puissants. Elle n’oublie pas. Elle, c’est notre raison de vivre. Nous la défendrons, nous la chérirons, et pour elle, nous souffrons, et nous ne l’abandonnerons jamais.
Main dans la main, pour elle, nous nous unirons. Main dans la main, pour elle, nous survivrons.
Elle, c’est le foyer. Elle, c’est le sens. Elle, c’est le désir, jusqu’au bout, jusqu’au bout…comme dit la chanson (sans la nommer de Georges Moustaki).
Elle, c’est la danse.
« Carthage dance » n’aura pas lieu.
Les rues ne danseront pas. Les salles n’accueilleront pas. Les artistes n’exposeront pas. La
danse n’aura pas lieu. Les corps dansants n’envoleront pas nos rêves en suspension. Nous ne danserons pas. Techniciens, artistes, danseurs, acteurs culturels, programmateurs, spectateurs ne partageront pas, cette année, les espaces de joie et de création. Nous ne rêverons pas ensemble de danses, d’engagement et d’un monde où les logiques du sensible priment sur le commercial et le compétitif.
« Carthage dance » n’aura pas lieu.
A tous les danseurs arabes et africains, Carthage dance s’est toujours engagé à être une
plateforme de rencontres et de partages. Nous ne nous retrouvons pas cette année mais gardons en tête notre devise : il n’y a pas de danse sans dignité des corps.
La dignité des corps dansants, est la reconnaissance du métier de danseur par nos Etats et le respect des conditions de vie des corps dansants.
La dignité des corps, c’est d’en finir avec la survie pour faire le choix de la vie.
La dignité, c’est leur responsabilité de respecter nos libertés.
La dignité, c’est de danser toujours, encore, inconditionnellement.
La dignité, c’est de se permettre une lenteur créatrice.
La dignité, c’est de ne pas répondre aux injonctions néolibérales et les logiques du marché.
La dignité, c’est imposer ses pratiques face aux exigences des institutions locales ou
internationales.
La dignité, c’est de se libérer de toute forme de domination qu’elle soit coloniale, patriarcale ou sociale.
La dignité, c’est le respect de la liberté absolue de nos corps au-delà des normes imposées.
La dignité, c’est une danse qui refuse l’assujettissement.
« Carthage dance » n’aura pas lieu. La danse survivra.
Nous danseurs, corps dansants, amateurs, professionnels, spectateurs, nous la ferons exister au-delà des barrières imposées par les Nords sur les Suds, au-delà des visas et des titres de séjours, au-delà des règles du marché, au-delà de tout.
Nous offrons cette édition à ceux et celles qui ont cru à la dignité, aux blessés de la révolution, aux victimes des violences policières dans le monde entier et à tous ceux qui ont vu l’intégrité de leur corps, un jour, bafouée.
La danse est un lieu de mémoire, qui choisit de ne pas se plier, se lève, se relève et se soulève.
« Carthage dance » n’aura pas lieu. La dignité restera notre combat.
Retrouvons nous en 2021 et ensemble, continuons à danser…
Mariem Guellouz pour l’équipe de Carthage dance 2020
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