Quand l’Art devient vecteur d’égalité des sexes en Tunisie : Programme Dare to Care

Quand l’Art devient vecteur d’égalité des sexes en Tunisie : Programme Dare to Care

À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes 2025, la Médersa Slimaniya au cœur de la Médina de Tunis a accueilli un événement culturel d’envergure. ONU Femmes Tunisie, en partenariat avec le ministère de la Jeunesse et des Sports, y a inauguré les résidences artistiques « Production Invisible 8:45 ».

Cette initiative s’inscrit dans le cadre du programme régional Dare to Care, qui vise à bousculer les normes patriarcales et à promouvoir l’égalité entre les sexes.

Dare to Care n’est pas une simple campagne de sensibilisation. Ce programme régional, déployé d’octobre 2023 à septembre 2026 dans six pays arabes dont la Tunisie, s’attaque aux racines des inégalités de genre.

Dare to Care : un programme ambitieux pour transformer les mentalités

Financé par l’Agence suédoise de coopération internationale (Sida), la coopération allemande (GIZ) et l’Agence basque pour la coopération (AVC), Dare to Care prend le relais du programme “Men and Women for Gender Equality” qui s’est achevé en 2023.

“Nous avons choisi une approche différente des conférences traditionnelles.”, explique Florence Basty, représentante d’ONU Femmes en Tunisie et en Libye. “L’art permet d’atteindre un public plus large et notamment les jeunes, qui sont la clé du changement.”

Cette stratégie répond à un constat préoccupant : selon une étude d’ONU Femmes de 2022, les jeunes Tunisiens adoptent parfois des postures plus conservatrices que leurs aînés sur les questions d’égalité hommes-femmes.

ONU Femmes a décidé d’adopter une autre méthode pour se rapprocher et sensibiliser les jeunes, en passant par l’art comme outil ludique de transformation sociale.

Le travail invisible au cœur du débat

L’événement du samedi 8 mars « Production Invisible 8:45 » a mis en lumière une réalité souvent occultée : le travail de soin non rémunéré. En Tunisie, les femmes y consacrent en moyenne 8h45 par jour, contre seulement 45 minutes pour les hommes.

Ces chiffres, tirés d’une étude d’Oxfam et AFTURD de 2021, illustrent une inégalité structurelle. Les femmes tunisiennes passent entre 33% et 50% de leur temps quotidien aux tâches domestiques et de soin, contre 3% pour les hommes. La valeur de ce travail non rémunéré représenterait 47,4% du PIB tunisien.

“Cette répartition inégale explique en grande partie pourquoi, malgré un taux de diplômées de 70% parmi les étudiants, les femmes sont plus touchées par le chômage”, souligne Florence Basty. “Face au choix entre carrière et responsabilités familiales, beaucoup se tournent vers la sphère privée, faute de soutien.”

Quand les jeunes talents s’emparent du sujet de l’inégalité des sexes 

Pour interpeller le public sur ces enjeux, 27 artistes tunisiens participent à des résidences artistiques à Tunis, Le Kef et Gabès. Après une formation intensive à Hammamet en janvier 2025, ces jeunes créateurs explorent trois disciplines : le rap, le théâtre et les arts visuels. L’événement à la Médersa Slimaniya a dévoilé trois créations originales :

– “Intouchable”, une performance théâtrale immersive sur les inégalités domestiques. La pièce aborde la discrimination fondée sur le sexe en particulier le travail de soin non rémunéré.

– “Women Carry War in Their Bodies”, des oeuvres et des installations artistiques sur le travail invisible des femmes. Elle rendent hommage aux femmes ainsi qu’à toutes les personnes engagées dans les luttes pour les droits des femmes. L’exposition artistique interroge la persistance des inégalités et des violences structurelles tout en replaçant le travail de soin au coeur des réflexions.

– “Wizdom”, un concert de rap déconstruisant les normes sociales. Supervisée par le collectif Debo, 11 jeunes artistes ont créé une performance immersive explorant les dynamiques de genre et du travail de soin non rémunéré.

Ces œuvres sont encadrées par des mentors reconnus comme Amina Dachraoui, le collectif Debo: VIPA, Tiga Black Na, ou encore Farah Sayem.

Un impact au-delà de l’événement

Boutheina Hammami, coordinatrice du projet chez ONU Femmes Tunisie, voit dans l’art un “puissant levier de changement” qui dépasse les cercles militants. “En donnant aux jeunes artistes l’opportunité d’exprimer leur vision, nous souhaitons provoquer une prise de conscience collective”, explique-t-elle.

Le programme ne s’arrête pas là. D’autres événements sont prévus à Gabès et El Kef dans les semaines à venir, multipliant ainsi les espaces de dialogue sur l’égalité des sexes à travers le pays.

Face aux chiffres alarmants sur le travail invisible des femmes, Dare to Care propose une approche innovante : transformer les mentalités par la créativité et l’expression artistique. Car comme le rappelle Florence Basty, “l’objectif n’est pas que les femmes prennent le pouvoir sur les hommes, mais de rééquilibrer une situation profondément inégale”.

À l’heure où les droits des femmes connaissent des avancées mais aussi des reculs dans la région, cette initiative tunisienne montre comment l’art peut devenir un outil puissant de transformation sociale.

S.B.

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