Carthage dans toute sa splendeur a été oubliée! Comment veux-tu qu’on se souvienne de nous? Ces paroles sont émises, par un siculo-tunisien, Salvatore, un sicilien de la 3ème génération né en Tunisie, oncle de la réalisatrice de”Manca Moro”, un documentaire sur sa vie, celle de ses parents et de ses grands-parents, des immigrés qui ont vécu toute leur vie en Tunisie et qui se trouvent aujourd’hui presque exclus de ce que fut leur terre d’adoption.
Mais que connaissons nous de cette communauté de Sicile qui a immigré en Tunisie vers la fin du 19ème siècle fuyant la misère en Europe ? Rien ou peut-être très peu, pourtant ce sont plus de 150 000 siciliens tunisiens qui sont recensés dans le pays peu avant 1956 dont plus de 60 000 qui ont pris le large vers 1898 pour accoster sur les côtes tunisiennes.
Dans son documentaire intimiste « Manca Moro » qui a pour titre arabe aguicheur « Makrouna Arbi » (des macaronis arabes) , la photographe Tunisienne Rim Temimi (de père Algérien, venu en Tunisie durant la 2ème guerre mondiale, et de mère sicilienne de nationalité française) revient sur l’histoire des Siciliens tunisiens, une communauté qui fut imposante et éparpillée un peu partout dans le territoire, et nous embarque dans son histoire familiale insoupçonnable et bouleversante.
Je suis née riche de ces trois cultures, en Tunisie. Cette terre mère a vu naître, non seulement, mes ancêtres algériens, lorsqu’elle s’appelait Ifriqiya, mais aussi mes grands-parents siciliens dont les parents ont fait partie de l’important flux migratoire du début du siècle dernier. Un réservoir de main d’œuvre sicilienne débarque par millier en « Terre Promise » …écrit- Rim dans la présentation de son film.
La langue des Siciliens de Tunisie est le siculo-tounsi un mélange du vieux sicilien avec du dialecte tunisien et un peu de français, une langue dédié à disparaitre avec ses derniers représentants. Et c’est la mère de Rim qui nous raconte ce que fut la belle vie en Tunisie durant le 20ème siècle en comparaison à celle vécu par les membres de sa famille obligés de repartir en France et en Italie, chassés ou car ils ne trouvent plus de travail.
Rim nous fait voyager d’abord avec les souvenirs de sa mère installée dans une maison à Korba, dans le cap-bon tunisien puis part à la rencontre des vieilles cousines de sa maman, expatriées en France, et de son Oncle qui vit en Bologne dans le nord italien. Cent ans plus tard, je pars, donc, à la recherche et à la redécouverte de ma famille sicilienne, en exil depuis 60 ans, éparpillée entre l’Italie et la France, écrit-elle.
On a beau ne pas avoir de parents d’origines étrangères (Ou peut-être le croire) le voyage de Rim et ses proches nous émeut. Les récits, franc parler et injures tunisiennes prononcées dans un langage approximatif nous font rire aux éclats et attendrissent. C’est un véritable travail de mémoire d’une heure et demi, qui a pris presque 5 années de recherche de la vie de la réalisatrice, et a généré 50 heures de rush qui le spectateur se délecte de découvrir.
Car ‘Manca Moro’ frappe avec sa fraîcheur et sa sincérité et créé également inévitablement un ‘Manque’ de ce qu’était la Tunisie d’autre fois, même si elle n’a pas toujours été tendre avec ceux qui ont dû la quitter, le cœur meurtri.
Le film documentaire « Manca Moro » ou Makrouna Arbi de Rim Temimi, distribué par Haka Distribution et produit par Dorra Bouchoucha et Lina Chaâbane, sera projeté dans les salles de cinéma de Tunisie tout au long de l’année 2022, à raison de 3 projections par mois dans plusieurs salles de cinéma de Tunisie.
Un documentaire tunisien à ne pas rater pour ne pas oublier, que ce pays fut autrefois une terre d’accueil. Une Tunisie qui manque aujourd’hui à ceux qui sont loin mais aussi à ceux qui y habitent. Pour ne jamais oublier que l’exode n’a jamais été dans un seul sens..
Sara Tanit
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