Tunisie : Mauvais Sang pour le piratage ?

Tout l’âge d’or du cinéma ressurgit en un clin d’œil, à travers  d’interminables étagères regorgeant de titres aussi rares que surprenants.  La vidéothèque « Mauvais Sang » est sans doute l’un des derniers refuges dédiés aux films d’auteurs et aux classiques du genre.

Témoin de toute une époque,  la vidéothèque mauvais sang,  dont le nom évoque un film d’auteur français tourné en 1986 avec Juliette Binoche et Michel Piccoli, est sans doute l’un des derniers temples dédiés aux films d’auteurs et aux classiques du genre.  Cela va faire 18 ans que son propriétaire, Ali Zaoui, cinéphile averti, consacre son temps à un métier qui a tendance à être de plus en plus marginalisé.

Des œuvres sorties de nulle-part…

Des affiches et des posters dédiés au 7ème art,  représentant des stars ainsi que des scènes de films cultes  ornent l’intérieur de la vidéothèque. Elles évoquent forcément  une certaines nostalgie, celle de l’odeur du plastique des cassettes vidéos louées durant notre enfance. La vidéothèque  se trouve  dans le paisible quartier de Mutuelleville,  non loin de la place Mendes France.

«Les gens ne s’intéressent plus beaucoup aux bons vieux films classiques ou au cinéma d’auteur.  Ils recherchent de plus en plus les dernières sorties du box office américain» souligne Ali, l’air serein. Mais d’après lui, «ça n’a rien de nouveau. Il en a toujours été ainsi, même au temps des cassettes vidéos VHS».

«La plupart des clients ne veulent pas des œuvres qui sollicitent leurs neurones. Mais  il y a  bien entendu  les connaisseurs. Il y a tout de même encore des cinéphiles, bien que largement minoritaires,  qui recherchent à chaque fois  la perle rare».

Et qui dit perle rare, dit forcément des légendes du cinéma. Et à travers toutes ces années, notre homme à pu amasser un véritable trésor de guerre cinématographique: plus de 10 000 références, toutes catégories confondues, mais dont une bonne partie reste quand même consacrée aux films amateurs et aux classiques indétrônables: du cycle Alfred Hitchcock à celui de Bryan de Palmas, en passant par François Truffaut,  Fassbinder, Jacques Audiard,  Stanley Kubrick ou encore l’indémodable Georges Lucas….Tout l’âge d’or du cinéma ressurgit en un clin d’œil, à travers  d’interminables étagères regorgeant de titres aussi rares que surprenants.  On retrouve ainsi des succès d’époque tels que « Un Tramway nommé désir » qui révéla Marlon Brando, la célèbre quadrilogie de « La légende de l’Ouest » par John Ford, « Les noces rouges » de Claude Chabrol, « Le voleur de Bagdad » de Raoul Walsh (tourné en 1924), « Casablanca » avec les inoubliables Humphrey Bogart et Ingrid Bergman, « Les révoltés du Bounty » qui met en scène le charismatique Clark Gable…et bien d’autres encore. Le vidéothécaire arrive tant bien que mal à les classifier, et nous montre plus d’une vingtaine de classeurs entassés les uns sur les autres, au fil des années.

Un avenir incertain…

Quand on lui demande son avis sur  l’avenir des vidéos clubs en général,  Ali avoue d’un ton pessimiste que «ce métier va droit dans le mur, car à terme, ce concept se retrouve forcément menacé. La principale cause n’est assurément pas les boutiques de gravure CD qui bradent, pignon sur rue,  des copies de DVD, mais c’est plutôt le haut débit !». Pour renforcer sa position, il rajoute que « Si le client arrive à télécharger lui-même ses DVD, il n’aura donc plus besoin d’intermédiaire ! De toute façon, je me demande à quoi peut bien servir une connexion ADSL de plus de 8Méga ? Sinon à télécharger plus rapidement ! ».

Le DVD face au piratage…

On lui demande son avis concernant la proposition de Ridha El Behi (Lire l’article : Tunisie : Piratage, la solution de Ridha Behi), relative au piratage des œuvres cinématographiques tunisiennes. Pour  Ali Zaoui , il s’agit effectivement d’une idée assez intéressante. Mais selon lui, on pourrait faire beaucoup plus simple : «Si l’Etat imposait aux boutiques de gravure disséminées sur tout le territoire de la République, une infime taxe de 10 dinars par mois, il y aurait de quoi réunir des milliards». Une somme que l’on pourrait mettre à disposition de l’industrie cinématographique nationale.

En somme, la proposition de Ridha Behi, semble faire mouche, et représente donc, une bonne base de réflexion même pour un cinéphile averti.

Le vidéoclub «Mauvais Sang» propose d’ailleurs ses DVD à 1.5 l’unité. Un prix dérisoire, quand on sait qu’à une certaine période, les DVD  gravés étaient vendus à 20dt l’unité ! « Le DVD est devenu industrialisé et banalisé à tel point qu’aujourd’hui,  le film est devenu jetable ! Au moins avant, les cassettes vidéos n’ont pas eu le temps de subir ce triste sort », souligne-t-il avant d’ajouter « Personnellement, je ne me considère pas comme un pirate, j’ai un minimum de valeurs. Et après tout, pourquoi parle-t-on de piratage ? Existe-il une loi contre cela ? A-t-on le droit de parler de piratage en Tunisie ? ». Il est vrai que cette remarque qu’a soulevé notre homme, donne beaucoup à réfléchir. Car après tout, ce terme tant critiqué par certains, concerne uniquement certains pays qui ont une industrie du cinéma et donc beaucoup d’intérêts en jeu. Mais pourquoi les Tunisiens s’en priveraient-ils ? Au nom de quel principe ?

Samy Ben Naceur

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