Tunisie : Lotfi Abdelli, les nabbaras et le top niveau

Gad El Maleh manque de sel pour les habitués aux plats à l’harrissa made in Tunisia. Tel qu’il est parti, Lotfi Abdelli peut même se permettre une takwira, avec Jamel Debbouze. Lotfi avoue pourtant qu’il n’est pas nécessairement l’humoriste le plus doué de sa génération.

Le plus objectivement du monde, nous avons du mal à croire que nos concitoyens goûtent l’humour à la française. Les mimiques de Gad El Maleh, formatées pour faire rigoler les bobos français, laissent plutôt froids l’écrasante majorité de nos concitoyens. Pas assez salées à leur goût, peut-être, une pub mensongère diront d’autres. Maleh manque effectivement de sel pour les habitués aux plats à l’harissa made in Tunisia. Et justement, la cuisine de Gad, malgré ses origines marocaines, manque d’épices. En somme, y a pas photo. Sur un terrain tunisien, Lotfi Abdelli peut faire un ballon de Gad El Maleh et les supporters allumeront les fumigènes pour célébrer comme il se doit le carton. Et nous avouons, sans honte, que nous serons les premiers à applaudir !

Lotfi, lui, est un pur produit tunisien. Ca s’entend, et ca se sent. Il a galéré dans les rues et sur les scènes du pays. Et ça se voit quand il fait son chaud show. Ses sources d’inspiration ? On s’en moque. Car après tout, au théâtre comme dans la vie, ce qui compte, c’est la transpiration. Et le bonhomme en a bavé, et sait renvoyer l’ascenseur à l’occasion, comme il l’a démontré au cours de l’émission Chare3 el Horria consacrée à sa personne, sur Hannibal TV, le mercredi 10 novembre.

Il a rappelé tout ce qu’il doit au chorégraphe Imed Jemaâ, presque un inconnu aux yeux du grand public, mais qui a eu le mérite de remporter le prestigieux Grand prix des Rencontres de Bagnolet en 1992 et la médaille d’argent de la meilleure chorégraphie pour les Jeux de la Francophonie en 1994 à Paris. Sur lui, Lotfi a carrément été dithyrambique.

Artiste «Made in Tunisia»

Et en bon défenseur du Made in Tunisia, il n’a pas manqué de mettre en avant les compétences locales, en ne ménageant pas ses éloges sur Maguy, alias, Majdi Smiri, le jeune réalisateur de son dernier clip. Que des artistes tunisiens remercient et mettent en valeur leurs amis, et tout l’appui qu’ils reçoivent de leurs compères, est une chose assez rare pour mériter d’être soulignée. Lors de l’émission sur Hannibal TV, Lotfi a également mis en avant Emino, un jeune rappeur qui ne manque pas de d’assurance, du haut de ses 19 ans. On regrettera cependant que leur talent soit gaspillé dans une chanson consacrée à descendre en flamme leurs frères-ennemis, qualifiés de «yoghurts périmés». Et ce, même si les clashs se multiplient sur la scène tunisienne, et même si les attaques visant personnellement Lotfi Abdelli fusent et dépassent même, parfois, les limites de la décence, notamment sur Facebook.

Malgré tout, le duo Abdelli-Emino a su imprimer une marque chic et choc avec un clip plutôt original dans un contexte envahi par les sirupeuses images Rotana. Les contempteurs ne relèveront que la vanité de l’ego-trip. C’est qu’en Tunisie, sur scène ou dans d’autres domaines, on n’apprécie pas les clous qui dépassent et trouent le mur du silence. Les nabbaras (détracteurs) sont nombreux. Même si Lotfi a eu le bon goût d’avouer que s’il est l’humoriste le plus célèbre de sa génération, il n’est pas nécessairement le plus doué. Mais le don, à lui seul, ne suffit pas. Et la transpiration finit par pallier et transcender l’inspiration.

Français cassé

Reste que l’usage immodéré de la langue française cassée et remodelée par Lotfi peut laisser perplexe. Pourquoi tenir absolument à utiliser une langue que visiblement, notre artiste ne maîtrise pas ? Pour faire «branché» ? Est-ce que Jamel Debbouze se permet de parler arabe quand il est interviewé par une chaîne française, sauf si c’est pour lancer une vanne à deux balles avec quelques onomatopées gutturales pour faire le Beur de service? Le bonhomme, même s’il s’appelle Jamel, ne touche pas sa bille dans notre langue, censée être également celle de ses parents. A notre sens, Lotfi peut aussi se permettre une takwira, avec Debbouze. C’est dire que pour notre comique-danseur-acteur, le top niveau n’est pas loin.

Lotfi Ben Cheikh

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