Les journalistes qui ont réellement tiré profit de la dictature représentent une minorité. Ceux qui ont comploté avec Ben Ali contre la société civile, ceux qui se sont servis de leur talent et de leur plume pour dorer la pilule aux Tunisiens, ne sont pas nombreux. Ils ont juste beaucoup plus de visibilité.
Les activités du RCD ont été gelées. Les milices de Zaba sont battues en brèche par les Tunisiens mobilisées. Les Tunisiens veulent jeter les représentants de l’ancien régime dans les poubelles de l’Histoire. Et la vigilance de nos concitoyens n’a pas baissé. Mais curieusement, les hommes de Zaba qui sévissaient dans le milieu de la presse n’ont pas encore été sérieusement inquiétés. Le mouvement n’a pas encore touché tous les premiers responsables, rédacteurs en chef, et autres propriétaires de médias impliqués dans le dispositif de propagande et de verrouillage de l’information du régime.
Aux dernières nouvelles, un comité formé des plumes libres du pays apportera sa pierre à l’édifice, pour contribuer à remettre sur pied un secteur (trop) longuement malmené. Pendant que quelques journalistes crient aujourd’hui publiquement : «nous sommes tous responsables. Nous n’avions pas le choix». Trop facile. Faux. Pire qu’une erreur de jugement. Une tromperie. Une arnaque. Encore une. Alors même que nous espérons que le temps des entourloupes est révolu. Non. Tous les journalistes tunisiens ne se sont pas compromis avec Ben Ali, comme voudraient nous le faire croire les brebis galeuses de la profession, espérant ainsi diluer les responsabilités pour s’en tirer à moindre frais. Tous les membres du corps des journalistes n’ont pas réagi, n’ont pas vécu les années et la chape de plomb de Ben Ali de la même manière. Les plus téméraires ont même contre-attaqué frontalement la police politique. Ils ont dû en payer chèrement les conséquences. Certains se sont réfugiés à l’étranger, emprisonnés, torturés. Le grand public connaît déjà les gladiateurs de la plume, qui ont déjà fait la une des médias internationaux. Les Taoufik Ben Brik, dont les pamphlets, les textes humoristiques ont mis en pièces, la dictature de Ben Ali. Les Sihem Ben Sedrine, qui n’ont jamais baissé les bras, même dans les pires années de la dictature. Autant de symboles d’une résistance qui n’a jamais faibli.
Les irréductibles indépendants
D’autres, encore, ont évité les tacles en dribblant la censure. Des funambules qui ont marché sur la corde raide, sans filet pour les rattraper. Des journalistes qui ont toujours titillé les lignes rouges, aux dépens de leur carrière. Des acteurs majeurs du secteur comme Lotfi Hajji, Slaheddine Jourchi, Rachid Khechanna, Ridha Kéfi, Nasreddine Ben Hadid, Larbi Chouikha, Moncef Mahroug, Noura Boursali, Nadia Omrane, et bien d’autres encore, ont toujours gardé le cap, sans verser dans les magouilles politico-médiatiques qui ont permis à certains de tenir le haut du pavé.
Nombreux sont ceux qui sont allés jusqu’à quitter (parfois temporairement) la profession dans l’attente de jours meilleurs. Un ancien du magazine «Réalités» a ainsi choisi de reprendre le chemin de l’université pour des études de droit, après avoir remisé sa maîtrise de l’IPSI au placard. Il a troqué sa plume contre une robe d’avocat. Un collègue du «Temps» s’est découvert sur le tard une vocation de développeur de sites web. Il s’est fait ainsi oublier pendant des années, avant de reprendre du service quand une occasion plus propice s’était présentée. Certains ont tout simplement abandonné le terrain politique, et se sont réfugiés dans la presse économique ou culturelle pour éviter de cautionner le régime. D’autres encore, même s’ils ont évité les sujets les plus exposés, s’en sont tirés plutôt honorablement en ne mangeant pas dans la main de la police médiatique au service de la dictature de Ben Ali.
Les fonctionnaires du journalisme
Certes tous les journalistes de Tunisie n’ont pas été héroïques, loin s’en faut, durant les années de la dictature. L’écrasante majorité des professionnels du secteur a fait ce qu’on lui demandait, sans se poser trop de questions. Conscients des difficultés et des limites à ne pas franchir, ces fonctionnaires du journalisme se sont contentés de faire le minimum syndical, sans s’impliquer davantage. Certes, ce n’est pas parmi eux que l’on trouvera les voix critiques. Mais les thuriféraires du régime ne sont pas non plus issus de leurs rangs. Les signatures de cette catégorie d’homme de plume ne sont généralement pas très connues. Ils ne s’en plaindront pas, au contraire. Ils ont fait profil bas, pour éviter les embrouilles, et continuer à faire leur boulot, pour gagner leur pain quotidien. Et puis, pourquoi leur reprocher à eux seuls, leur manque d’engagement politique ? Après tout, les comptables, ingénieurs, techniciens, infirmiers, ont exercé leur métier durant les années Ben Ali, sans nécessairement accomplir les basses besognes des supplétifs du régime.
Non. Tous les journalistes n’ont pas trempé dans le système. Ceux qui ont réellement tiré profit de la dictature représentent une infime minorité. Ceux qui ont comploté avec Ben Ali contre la société civile, ceux qui se sont servis de leur talent et de leur plume pour dorer la pilule aux Tunisiens, ne sont pas nombreux. Ils ont juste beaucoup plus de visibilité. Et pour cause : ce sont les responsables de la vitrine de l’ubuesque roi déchu. Il fallait donc les exposer. Le problème ? C’est qu’ils continuent de monter aux créneaux comme si de rien n’était. Leurs réseaux, comme ceux du RCD, sont loin d’être complètement défaits. Or un secteur stratégique comme la presse ne saurait assumer ses nouvelles responsabilités sans les extirper. Et il serait extrêmement dangereux, pour la Tunisie de la Révolution, que le quatrième pouvoir reste entre leurs mains.
Oualid Chine
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