Il est 22h à la Kasbah. Une foule venue de toutes les régions de la Tunisie est rassemblée. Des tentes sont installées. Pas possible d’y accéder sans passer par deux fouilles assurées par le comité de protection. D’autres sont là pour lutter contre tous les débordements. Y compris ceux de l’information. Reportage
«Vite! Il faut démentir. Radio Jeunes a annoncé que la marche du vendredi va partir d’El Kasbah. Ils cherchent à nous éparpiller» clame un des activistes de la cellule médiatique d’El Kasbah à son collègue la veille du vendredi 25 février 2011. Nombreux sont leurs compagnons connectés via une flybox sous cette tente. Ils sont penchés sur leurs huit ordinateurs portables à poster des vidéos, des articles et autres flash news du sit-in. Omar Bouâaissi, jeune professeur d’anglais venu de Kairouan, en est un.
Il nous parle d’une crise de confiance aigüe entre manifestants et médias : «Jusqu’à l’heure actuelle, aucun média n’inspire confiance aux participants de ce sit-in. Parce que même s’ils leur arrivent de couvrir le sit-in, soit ils ne lui accordent pas beaucoup d’espace, soit ils le traitent sous un certain angle de visée». Et il poursuit : «On a donc, décidé d’assurer nous-mêmes la couverture médiatique du sit-in d’El Kasbah. Le live reporting nous met à l’abri du montage manipulateur dont on a été plusieurs fois victime notamment avec Nessma, Mosaique Fm et autres». «La couverture médiatique du sit-in de la place d’El Kasbah» et «Sit-in du départ / Kasbah / Live» ainsi s’intitulent les pages créées par ce comité sur Facebook. «Il y a plusieurs pages qui coordonne leurs activités via l’Union des Pages de la Révolution.
A part les deux pages relayant les informations en live, il y en a d’autres mobilisées pour notre cause et qui partagent ce que nous publions» explique Omar. «Nous luttons aussi contre les pages cherchant à nuire à l’image du sit-in d’El Kasbah en propageant de fausses informations» dixit le jeune venu de Kairouan avant qu’un autre activiste me chuchote : «Il y a même des hackers du Zahrouni (cité populaire du périphérique de Tunis) qui nous ont contactés. Ils nous ont dit qu’ils s’en occupent».
Avant de servir de média alternatif, le Net, principalement Facebook, a été un outil fondamental dans la fédération des masses présentes à El Kasbah. Sous la même tente, nous avons rencontré Nader Ben Cheikh, un chômeur venu du quartier tunisois d’El Mourouj. Il a partagé avec nous son expérience : «J’ai trouvé sur le net l’appel au sit-in. Je suis venu et j’ai découvert que les revendications me représentent. J’ai donc rejoint les manifestants. Je tiens à préciser que je n’appartiens à aucun parti politique».
Actuellement, Nader est l’un des activistes à la tête du comité médiatique du sit-in d’El Kasbah. «A travers Facebook, nous sommes en train de briser le blackout médiatique. Notre activité n’est pas vraiment étudiée. Nous le faisons bénévolement et spontanément. Nous nous sommes même déplacés et filmé un reportage à Kairouan qui a été repris par la Télé Nationale» déclare le jeune sans emploi.
Assurer une transmission live des évènements et lutter contre la désinformation dont les médias classiques sont accusés ne sont pas les seuls objectifs du comité médiatique du sit-in d’El Kasbah. Balayer les rumeurs risquant de toucher à la détermination des participants figure aussi parmi leurs priorités. «Appeler Gabès, c’est urgent! Les Gabésiens sont très inquiets. On leur a appris que la Société des Transports de Gabès a été brûlée et saccagée» dixit un des activistes du comité médiatique de retour à la tente après une longue plongée dans la foule. Et le réseau est bien mis en place pour vérifier la crédibilité des informations venant de partout. Omar nous en parle : «Nous avons des amis de différentes régions de la Tunisie. Nous avons fait leur connaissance en marge de ce sit-in. On est en contact avec eux afin de s’assurer de la crédibilité de certaines informations».
Vers minuit, de retour à Bab Bhar en arpentant les ruelles de la Médina, nous croisons encore des foules de jeunes marchant vers El Kasbah. Djembé en main, ils feront la fête jusqu’à l’aube histoire de chasser les voix des charlatans de l’information. Les tambours battront au même rythme des cœurs révolutionnaires histoire de renforcer le moral des troupes. La Révolution n’est pas finie.
Thameur Mekki
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