Synonyme d’urgence (dixit Lilia Rebai), la conférence organisée lundi 5 novembre par l’ATIDE a présenté une analyse critique du projet de loi organique, débattu dès ce mardi par les membres de l’ANC, concernant l’ISIE. « Entre tiraillements politiques et manque de transparence », ce projet est considéré «contradictoire aux principes d’indépendance et de transparence, seuls garants de l’intégrité et de la démocratie des élections». Et c’est là que toute l’urgence réside car une fois voté, il mettrait en place une structure dépendante, partisane, qui ne pourrait, de fait, remplir son rôle de contrôle impartial.
Deux membres de l’ATIDE, ainsi que deux experts juridiques se sont relayés pour argumenter sur les lacunes qu’ils ont relevées, et que l’Association tunisienne pour l’intégrité et la démocratie des élections a eu l’occasion, c’est notable, de présenter devant la commission parlementaire en charge de l’élaboration du texte. Le président, Moez Bouraoui s’explique : «Nous n’émettons pas ces critiques pour critiquer, mais pour aider à mettre en place les conditions permettant l’organisation d’élections démocratiques, transparentes et neutres». Synthétiquement, 8 grosses insuffisances –auxquelles se sont ajoutées les, nombreuses, remarques des experts- ont été pointées par l’ATIDE, des failles ou des propositions problématiques quant à la création et au fonctionnement à venir de la nouvelle ISIE. Ahmed Souab, juge administratif, a résumé ainsi une des raisons de cette situation et dénoncé l’exclusion « délibérée » des compétences tunisiennes dans l’élaboration du texte : «Est politique qui veut, n’est pas juriste qui veut».
La deuxième mouture de l’ISIE telle que projetée dans ce texte n’est donc pas approuvée ni dans sa forme ni dans son fonds, par l’ATIDE -et par d’autres instances, comme le Centre Carter-, qui rappelons-le avait déployé 2000 observateurs bénévoles lors des élections du 23 octobre 2011.
Une ISIE impuissante et opaque ?
Sur la forme, l’absence de pouvoir de l’ISIE l’empêchera de mettre fin aux dépassements et infractions affectant l’intégrité du processus électoral qu’elle pourrait relever. En effet, les différentes propositions de la commission de législation générale de l’ANC ne font aucune mention explicite aux pouvoirs d’auto-saisine, d’injonction ou de sanction à lui conférer. Autre point : aucune disposition n’est notifiée pour garantir la transparence des travaux de la structure gardienne du processus électoral. Par ailleurs, la non-formulation d’un calendrier précis des différents travaux de la commission spéciale de l’ANC chargée de l’examen et de la sélection des dossiers de candidatures risque de retarder la création de l’ISIE.
Plus généralement, pour Ahmed Souab, les textes présentés sont incomplets, imprécis, parfois incompréhensibles, et mal agencés. Le juriste souligne également la dépendance financière vis-à-vis de l’ANC, qui valide le budget de l’instance.
Le secrétaire général de l’Association tunisienne de droit constitutionnel et ancien membre de l’ISIE, Chawki Gaddes a, pour sa part, déploré la non-prise en compte de l’expérience passée en s’appuyant sur l’évaluation du travail de l’ISIE et des expériences comparées par les instances internationales ayant déjà accompagné des dizaines d’élections. Il a notamment relativisé l’importance de l’ISIE : «Celui qui fait les élections, c’est l’organe technique, administratif et financier, l’instance en elle-même ce n’est que des personnes respectables, là pour garantir que le travail est fait dans les règles de l’art ».
Une ISIE partisane ?
Sur le fonds maintenant, le choix de plusieurs alternatives concernant les articles les plus sensibles du texte de loi est révélateur de tiraillements politiques pouvant conduire à une instance supérieure dépendante pour les élections. Comprenez, le projet dans son ensemble n’est pas exhaustif aussi bien en matière de processus de vote au sein du conseil de l’ISIE qu’en matière de détermination de la grille des critères de sélection des candidats – ce qui pourrait conduire à des décisions partisanes quant au choix des candidats, et affecterait la neutralité de cette 2ème ISIE.
M. Gaddes s’interroge par ailleurs sur les prérogatives réelles de l’ISIE qui ne détient pas le fichier électoral : le Centre national de l’informatique en est chargé, alors qu’il ne suffit que de quelques informaticiens pour l’administrer…
A côté de toutes ces insuffisances, le fait que ce projet de loi ne fait aucune mention des principes de parité dans la composition du conseil de l’ISIE pourrait presque en être insignifiant (!).
En tous cas, une chose apparaît certaine après les différentes argumentations entendues et c’est Moez Bouraoui qui nous l’assène : «Quand bien même tout se passerait sans blocage [de nombreux articles pourraient créer des blocages dans le déroulement de la création et de la mise en place de l’ISIE, ndlr], il sera impossible de tenir des élections en mars ».
Léna C.
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